Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
Entre les États-Unis et l’Iran, les insultes volaient bien avant les drones et les missiles. L’échange de mots doux remonte à la crise de 1979, année lors de laquelle l’ambassade américaine de Téhéran avait été prise d’assaut et une soixantaine de diplomates et de civils pris en otage. Les États-Unis « Grand Satan », comme disait alors l’ayatollah Khomeiny.
L’arrivée au pouvoir de Donald Trump n’a rien arrangé à l’affaire. Le président iranien Hassan Rohani a rapidement exprimé des doutes sur la santé mentale du nouvel occupant de la Maison Blanche, ce dernier éructant en retour, via des tweets en lettres capitales, que « les propos insultants de l’Iran témoignaient de son ignorance » et promettant en cas d’attaque contre les intérêts américains des représailles « écrasantes » et même une « oblitération ».
Un mot pour un autre
On n’en serait pas là si Khomeiny avait tenu un autre langage. Par exemple, rêvons un peu, il eût pu dire que les États-Unis étaient un petit satin, voire même un doux satin. Auquel cas Trump et Rohani en seraient aujourd’hui à parler chiffons. C’est fou ce qu’une petite lettre peut changer ! Sachant que Khomeiny avait en son temps traité la Russie de « Moindre Satan » et Israël de « Petit Satan », cette discussion satinée aurait pu s’élargir à toute la planète. Et vous, pour aller avec une jupe en taffetas, vous verriez quoi ?
Si l’ayatollah avait évoqué des santons, le ravi de la crèche de Washington, peu au courant des arts et traditions religieuses, aurait pu mal le prendre et menacer en retour l’Iran d’une apocalypse. Eût-il parlé de grand sotan ou moyen sottin que personne n’aurait rien compris et on en serait resté là.
Aujourd’hui, la rapidité des échanges sur les réseaux sociaux complique énormément la communication entre États. Au lendemain de l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani, un tweet de la présidence du Mali déplorait que personne n’ait dit à Trump qu’il avait « commis une connerie » et qu’il menaçait la paix mondiale, faisant des USA « un État voyou ». Peu après, la Présidence malienne informait l’opinion nationale et internationale que son compte twitter avait été momentanément piraté par des individus mal intentionnés et que des investigations étaient en cours pour en démasquer les auteurs. Au bout du compte, l’auteur n’était autre que l’ancien responsable de la communication du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui s’est dénoncé lui-même sur son propre compte Twitter, avouant : « Ni pirates ni hackers, une regrettable erreur de manipulation ». Pour l’heure, le Mali n’a pas été rayé de la carte par des missiles américains.
Il est possible que Trump ne soit qu’un petit satan de rien du tout, et l’Iran un immense bordel. Auquel cas le Moyen-Orient ne serait pas le « théâtre de vives tensions », comme disent les dépêches, mais un spectacle de marionnettes hésitant entre le Grand-Guignol et le théâtre d’ombres.
Édouard Launet
Insultologie appliquée
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