Coup de vieux dans la cour du Lycée Saint-Joseph. Les plus âgés ont dépassé les 90 ans, leurs enfants sont septuagénaires et les jeunes mariés ont autour de 40 ans. Le metteur en scène Ivo van Hove adapteVieilles gens et choses qui passent, un roman de Louis Couperus (1863-1923), figure des lettres néerlandaises et du roman naturaliste, méconnu en France. La scénographie est un jeu de reflets : un grand miroir en fond de scène renvoie aux spectateurs leur propre image sur les gradins ; et les acteurs, disposés en vis-à-vis de chaque côté de cette même scène, sont aussi des reflets les uns des autres – les personnages qu’ils interprètent ayant par ailleurs tous des liens de parenté. De part et d’autre du plateau, des vitres aussi, avec tracées à la peinture blanche des esquisses évoquant des masques de carnaval de James Ensor, contemporain de Couperus.
Costumes noirs et lumières sombres, l’obscurité règne sur les cœurs et les consciences, comme si le trio de vieillards qui mène cette drôle de danse avait contaminé les générations suivantes, les entraînant avec eux, quel que soit leur âge, aux portes de la mort. Vies malheureuses, gâchées, ralenties, le temps qui passe est du temps qui pèse et l’horloge qui bat au centre de la scène évoque moins le compte à rebours que la malédiction éternelle.
Cela pourrait être sinistre et c’est étrangement harmonieux, parce qu’Ivo van Hove et ses acteurs allègent, s’amusent, s’écoutent, sont attentifs au rythme, jouent une partition plus qu’un rôle, donnent de la vitalité à ce bal de morts vivants.
Derrière tout cela, un secret de famille dévastateur : un crime passionnel, jamais avoué, jamais jugé, mais dont le poids a tout écrasé et pour longtemps. L’ombre du meurtre, chacun la porte sur son visage, mais Ivo van Hove choisit de mettre aussi en scène l’ombre du plaisir. Les « jeunes mariés », en voyage de noces sur les bords de la Méditerranée, s’envoient en l’air dans une scène dont la crudité – corps dénudés et giclées de crème chantilly – est à l’opposé de tout le reste, jeu de miroir là encore, mais entre Eros et Thanatos.
L’intelligence et le brio de cette mise en scène ne font pas de doute. Pas certain pourtant que l’on soit au niveau de The fountainhead, l’adaptation par Ivo van Hove du roman d’Ayn Rand présentée au festival d’Avignon 2014. Dérangeante, passionnante, l’envergure politique et littéraire du roman de l’une des icônes de la nouvelle droite américaine ne faisait pas de doute, et le spectacle d’Ivo van Hove était porté par la puissance de l’œuvre originale. Pour Les choses qui passent, c’est moins clair, comme si la mise en scène était plus le reflet d’elle même que du texte dont elle s’empare. Soupçon injustifié ?
René Solis
Théâtre
De Dingen die voorbijgaan (Les choses qui passent) d’après Louis Couperus, spectacle en néerlandais surtitré, Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph, jusqu’au 21 juillet 2018.
Photos © Christophe Raynaud de Lage
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