“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
René Girard avait raison. Pas l’ex-entraîneur de Lille : son homonyme, le philosophe. Pour l’auteur de La violence et le sacré, tout ordre social se fonde sur la violence exercée par le groupe contre un bouc-émissaire. Il n’en va pas autrement du football : un championnat a besoin d’une victime expiatoire, contre laquelle s’exerce la vindicte collective. Explication parmi d’autres à la popularité du football : pour le supporteur, le spectacle de cette violence est exutoire, d’autant plus qu’elle tend à l’injustice et à l’arbitraire. Le début de saison du LOSC l’illustre : le champion de France 2011 qui a changé d’entraîneur après une décevante 8ème place, qui a perdu des joueurs importants (Kjaer, Gueye, Roux, et au mercato d’hiver Souare et Origi), en plein changement de cycle, et que le hasard – qui n’a rien d’édénique – offre en sacrifice pour ses deux premiers matchs aux Molochs de la Ligue 1 : Paris et Monaco. Le tirage au sort a condamné Lille. Pourquoi ? Il n’y a pas de raison, aucune explication. C’est aléatoire, c’est immérité, et le supporteur –victime quotidienne du bon plaisir d’un patron, des lubies d’un client, des caprices d’une femme ou des sautes d’humeurs d’un voisin– y trouve sa consolation. Chaque samedi, ce martyr partage avec d’autres sa croix, il n’est pas le seul contre qui le destin s’acharne sans raison. Alors, il entrevoit la logique sacrificielle et en vient à désirer que le rite cathartique se perpétue. Le « désir mimétique », selon René Girard : on désire que le sort s’acharne sur d’autres en espérant qu’il nous épargnera, et l’on s’imagine ce désir coupable d’autant plus efficace que tout le monde désignera le même souffre-douleur. « On voulait nous voir descendre » se plaignent souvent les entraîneurs relégués en fin de saison, et si certains dirigeants du football se sentent visés, ce sont les Dieux que ce « on » désigne.
En cela, le football retrouve le sens de la tragédie antique. Parfois, le destin s’acharne implacablement. Aucune force humaine n’y peut rien. De là, le sens du sacré dans le football. Le chœur des supporteurs marseillais en sait quelque chose, résigné qu’il est à la malédiction des crises à répétition. Périodiquement, la colère des Dieux s’abat sur les olympiens. Et lorsqu’un Marcelo Bielsa apporte un temps la paix dans la cité phocéenne, plus dure sera la chute du colosse aux pieds d’argile : deux défaites en deux matchs contre Caen et Reims…
Pourtant, un héros se lève parfois pour résister. Car dans le football, la damnation n’est pas éternelle, et c’est là l’espoir du supporteur : qu’il en aille de même dans sa vie de tous les jours. Si ce prophète qu’est le footballeur peut lutter contre la fatalité, il doit en aller de même de son apôtre, qui est en droit d’attendre un retour pour le culte qu’il lui voue. Bien sûr, les miracles sont éphémères, et les rébellions prométhéennes n’atteignent souvent pas leur but : mystiques ou profanes, les forces en jeu dans le football sont puissantes. Difficile de sortir vainqueur de la lutte contre la fatalité ou contre l’argent : pour preuve, l’omnipotence du PSG. Mais les revers ne découragent pas les héros. Ainsi Hervé Renard, appelé il y a deux ans pour sauver Sochaux au bord de l’abîme, et qui ne bascula qu’à la dernière journée, dans une lutte épique contre son concurrent direct au maintien. Or, Renard revient, à la place de René Girard (l’entraîneur, pas le philosophe). L’allobroge d’Aix-les-Bains fait face aux éléphants d’Hannibal. A mi-chemin entre Tartarin auréolé de gloire africaine et Lancelot tiré de sa retraite pour quêter le Graal, tout de blanc vêtu, il se dresse en paladin contre le destin qui s’acharne. A ses côtés, il a appelé ses pages, vétérans d’autres guerres : Sunzu, qu’il a dirigé en Zambie et fait venir à Sochaux, a répondu à l’appel. Et Gadji Tallo, qu’il a eu sous ses ordres en Côte d’Ivoire. Pas Jordan Ayew mais qu’importe ? Lille a pris un point contre Monaco et montré du panache : ce n’est que le début du roman de Renard.
Sébastien Rutés
Footbologies
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