“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
“Tout peut donc être mythe ? Oui, je le crois” affirmait Roland Barthes. Ce n’est pas la nature d’un objet qui justifie la mythification, c’est “une parole”, c’est-à-dire un message. Le football n’est pas qu’un spectacle, il est aussi un discours, ou plutôt une superposition de discours qui investissent leur objet de significations multiples. Effet de la surmédiatisation, ces discours prolifèrent et tendent à se reproduire les uns les autres, à se citer, se copier, et cette spécularité favorise la production de mythes : des plateaux télé au café du commerce, tout le monde parle de la même chose, laquelle chose devient un référent collectif dont la signification évolue. Les mythes qui en résultent peuvent paraître dérisoires, ils n’en expriment pas moins une doxa –une idéologie, un système de représentations du monde– propre au football en général ou à un club en particulier.
Un exemple à l’Olympique de Marseille, avec la glacière de Marcelo Bielsa. En novembre dernier, des photos de l’entraîneur argentin avaient été placardées au métro Glacière, à Paris, preuve du statut acquis par l’objet dans l’imaginaire marseillais : Bielsa à la conquête du rival parisien grâce au cheval de Troie de sa glacière. Mais Bielsa a démissionné à la surprise générale au soir de la première journée de la saison (défaite 0-1 face à Caen), Michel l’a remplacé et sa première prestation a convaincu (6-0 face à Troyes). De Bielsa, il ne reste qu’un mythe dont le succès tenait à ce qu’il correspondait parfaitement à la doxa olympienne.
Par nature, la glacière est associée au camping, c’est-à-dire un mode de vacances populaire et familial. Or, ce sont ces valeurs que le supporteur marseillais associe à son club, notamment par opposition à l’élitisme supposé du Paris Saint-Germain. A Paris, ce serait fric et champagne, et à Marseille, rosé bien frais et rigolade entre amis. Car une glacière, ça sert surtout à conserver les boissons au frais, et les glaçons pour le pastis : elle symbolise non seulement des valeurs de fraternité mais aussi un mode de vie festif associé à la Méditerranée : la plage, le soleil et l’ivresse. Avec sa glacière et son jogging, Marcelo Bielsa paraissait toujours revenir d’une pétanque au camping de Saint-Cyr-sur-Mer, et cette adéquation apparente à la doxa du club justifie le statut mythique.
Apparente, car l’usage que l’entraîneur faisait de sa glacière allait à l’encontre des représentations qui y sont associées. Pendant les matchs, Bielsa buvait du café. Étonnante contradiction qu’il y a à boire une boisson chaude assis sur une glacière, et la preuve du détournement de signification. Pas de bière fraîche à partager avec les copains dans cette glacière-là, sur laquelle Bielsa s’asseyait seul, à l’écart, loin du banc de son staff. Aucune fraternité, la glacière de Bielsa symbolise au contraire la solitude du pouvoir d’un entraîneur qui évite le contact direct –aussi bien avec les journalistes qu’il ne regarde jamais en face, qu’avec ses joueurs (mis au frigo pendant un an, le défenseur brésilien Doria ne dira pas le contraire)– et a recours à des intermédiaires : Franck Passi pour transmettre ses ordres et Fabrice Olszewski, l’interprète dont les traductions approximatives renforçaient l’isolement linguistique.
Distance, mutisme, isolement : qui peut s’étonner de la froideur d’un homme assis sur une glacière ? Bielsa est renfermé, secret, sa communication hermétique. Qu’y avait-il finalement, dans cette glacière ? Personne ne le saura…
Car Bielsa a fait ses valises, c’était prévisible. Assis au bord de sa glacière comme un marin sur sa malle, à scruter l’horizon en silence depuis le (vieux) port, il ne cachait pas ses envies d’ailleurs. La glacière, c’est l’invitation au voyage. Le baluchon était prêt, et le pique-nique au frais. D’autant qu’une glacière suggère par nature l’éphémère : les pains de glace finiront par fondre, et le contenu par s’avarier. Marcelo Bielsa ne reste dans les clubs qu’il entraîne qu’une saison ou deux, et seulement six matchs à l’Espanyol Barcelone en 1998 : un survêtement, c’est fait pour courir. La glacière conserve momentanément, faute de mieux, elle suggère l’instabilité et le provisoire, sa lutte contre le pourrissement est vouée à l’échec à long terme. Dans un club qui a consommé cinq entraîneurs en trois ans, peut-être le mythe de la glacière en disait-il plus que ce que les supporteurs voulaient y voir…
Sébastien Rutés
Footbologies
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