Au Festival d’automne, Jonathan Capdevielle a proposé deux spectacles. Les représentations de À nous deux maintenant, adaptation du roman de Georges Bernanos Un crime, se sont achevées le 3 décembre au Théâtre de Nanterre Amandiers. Mais l’acteur-danseur-chanteur-metteur en scène joue les prolongations jusqu’au 6 janvier au Théâtre du Rond-Point à Paris en reprenant Adishatz/Adieu, un solo créé en 2009. Une heure étonnante, où l’interprète retourne en adolescence pour convoquer sur scène les voix et les fantômes de plusieurs de ses proches et raconter un pan de son histoire. Il y a dans la manière de faire de Jonathan Capdevielle quelque parenté avec celle de Philippe Caubère, qui de son côté présente en ce moment au Théâtre de l’Athénée les derniers chapitres de la saga de son alter ego Ferdinand Faure.
Tous les deux sont des enfants qui dansent et qui parlent tout seuls, reclus dans une chambre où tous les jouets sont imaginaires. Et tous deux livrent au public le spectacle d’un corps habité par d’autres, qui sont moins des personnages que des marqueurs d’émotions, des traces – voix, accents, gestes, mots, silences – imprimées dans la mémoire. Mais Capdevielle n’est pas Caubère : Adishatz/Adieu n’appelle pas de suite ; et si la recherche du temps perdu obsède Caubère au point de se confondre avec son moi artistique, l’oubli pourrait bien être le vrai cap de Capdevielle, tant le passé qu’il revit est chargé de douleur.
L’enfant Capdevielle a un corps d’adolescent mal dans sa peau ; devant le miroir de la salle de bain, il est l’interprète autiste d’un karaoké a capella, passant de Madonna à Francis Cabrel, touchant, irritant, simultanément juste et faux. Et puis peu à peu, la porte s’ouvre, la gamin grandit, d’autre voix le rejoignent, son père au téléphone, sa sœur mourante à l’hôpital, des copains dans une boîte de nuit… Des voix qui ont l’accent – Capdevielle est de Tarbes et le fait entendre – et qui disent par bribes une histoire triste, chaotique, violente et pourtant pas sans issue. Dans un entretien publié à l’occasion de la reprise du spectacle, il résume ainsi l’enjeu : « Que faire une fois perdue la pureté, la candeur de l’enfance et tout juste esquissée la construction de l’adulte à venir ? Soit tu décides ne pas aller plus loin et de mourir avec l’enfant, soit tu décides de dévier ta route, de la choisir. Ce spectacle, c’est ça. »
Dans le spectacle, Jonathan monte à Paris, se travestit en blonde, devient artiste. Il n’est pas plus heureux mais il a choisi sa route. À la fin, une chorale pyrénéenne le rejoint sur scène pour chanter Les Montagnards (« Déjà dans la vallée / Tout est silencieux / La montagne voilée / Se dérobe à nos yeux. / On n’entend plus dans la nuit sombre / Que le torrent mugir dans l’ombre / Ô montagnards, ô montagnards / Chantez plus bas, chantez plus bas« .
C’est magnifique.
René Solis
Théâtre
Adishatz/Adieu, de et par Jonathan Capdevielle, Théâtre du Rond-Point (Festival d’automne), jusqu’au 6 janvier.
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