Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.
Fort discrètement, le gouvernement vient de se doter d’une Cellule d’études et de prospective des modèles disruptifs (Cepromodis) directement rattachée à Matignon. Derrière cette dénomination se cache un organisme de veille sur la collapsologie, terme désormais consacré désignant l’exploration transdisciplinaire du probable effondrement de notre civilisation industrielle, ainsi que de ses suites éventuelles. À cette cellule ont été confiées deux principales missions : la surveillance de l’activité des groupes effondristes et/ou millénaristes d’une part, et de l’autre la préparation de plans d’action en cas de catastrophe climatique, économique ou politique — la première mission pouvant éventuellement nourrir la seconde.
La discrétion s’imposait car il n’est jamais bon de faire savoir que le sommet de l’État se prépare au pire. Cependant, un document diffusé par la Cepromodis auprès des préfectures, que délibéré a pu consulter, dévoile simultanément l’existence de cette cellule et la nature de ses préoccupations. Ledit document passe en revue les principales questions qui se poseraient en cas de chaos général suite à des émeutes, des ouragans, la prise du pouvoir par quelque régime dictatorial et violent, ou tout autre événement disruptif. Comment mettre à l’abri les institutions de la République ? Comment maintenir la sûreté des installations nucléaires et des infrastructures vitales (électricité, eau, télécoms) ? Et, surtout, quelle base de repli pour le gouvernement et les deux assemblées lorsque Paris sera en flammes ? On ne s’était pas vraiment posé ce genre de questions depuis la dernière guerre. Peu probable qu’on y réponde de la même manière aujourd’hui.
Vichy comme base arrière ? Trop connoté. En 1940, Raphaël Alibert et Paul Baudoin avaient proposé cette ville car les liaisons routières et ferroviaires en direction de Paris étaient bonnes, le central téléphonique ultra moderne (pour l’époque) et l’infrastructure hôtelière adéquate. Aujourd’hui, si l’on en croit le document diffusé par la Cepromodis, seraient en lice Compiègne, Chantilly, Le Touquet et Granville (Manche). Ces quatre villes ont en commun d’être relativement à l’écart de l’agitation sociale, d’avoir des liaisons directes avec Paris et d’offrir un cadre agréable. La présence du Touquet sur cette liste est sans doute une concession faite à l’Élysée (le train n’arrive qu’à Étaples, à quelques kilomètres de la station balnéaire). Celles de Compiègne et de Chantilly apparaissent plus légitimes, ces lieux étant en sus tout imprégnés des heures glorieuses de la Grande guerre. Celle de Granville est par contre un mystère. Le petit port de la Manche est certes un lieu non dépourvu de charme, mais ce n’est pas le premier auquel on aurait pensé comme capitale-bis. La plus grande salle de la ville ne peut guère accueillir plus de quatre cents personnes, et est de ce fait inadaptée à une séance plénière de l’Assemblé nationale, sans parler d’un Congrès des deux chambres. L’infrastructure hôtelière, quoique de qualité, est d’une capacité nettement insuffisante. La liaison ferroviaire avec Paris est, de notoriété publique, très aléatoire même en temps de paix.
La préfecture de la Manche a tout de même étudié le dossier et rendu un rapport, que délibéré a pu consulter également, qui ne s’avère pas entièrement défavorable à l’hypothèse Granville. Difficile mais faisable, en est en substance la conclusion — bien que Cherbourg eût été un meilleur choix, est-il précisé d’emblée. À toutes fins utiles, ou par pure facétie, le rapport préfectoral inclut en annexe les paroles de l’hymne de la ville, chanté principalement pendant les soirées arrosées du carnaval local (le prochain a lieu du 1er au 5 mars) :
C’est la Granvillaise
Car elle est fière et ne vous en déplaise
Cette fierté lui sied on ne peut mieux
Ainsi qu’un duc et pair la Granvillaise
Avec orgueil peut compter ses aïeux
Car elle a gardé la mémoire
De ce que fut son vieux rocher
Ce fut Granville-la-Victoire
Noble sang ne peut déroger
Ah ah ah ah, ah ah ah ah
C’est la Granvillaise, fleur de la falaise
Ah ah ah ah, ah ah ah ah
C’est la Granvillaise
Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde
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