La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 03 Nov 2022

Vostok de Leticia Ramos, 2014

Vostok, de Leticia Ramos, se présente comme un enregistrement effectué dans un futur dystopique durant une expédition au Lac Vostok: le plus grand lac sub-glaciaire de l’Antarctique, situé à environ cinq cents mètres sous le niveau de la mer. Ayant choisi le documentaire comme format pour transmettre l’inconnu, l’artiste se sert pour son travail d’une esthétique de science-fiction. Simultanément, pourtant, la question de la manipulation des images et des discours affleure. Et le film montre le rôle que peut jouer l’audiovisuel documentaire comme outil de pouvoir et de domination permettant la création de fictions. Ces fictions façonnent souvent ce que nous associons à l’inconnu, aux souvenirs et à ce qui est considéré comme vrai.

Dans Vostok nous voyons à travers la caméra vidéo. C’est un œil qui s’est émancipé de l’organisme humain; il voyage, découvre et enregistre au nom de la recherche scientifique et de sa vérité supposée. Dans un futur possible, il y aura des machines capables de supplanter la faiblesse du corps; le voyage à Vostok en est un exemple. En y regardant de près, cependant, nous découvrons que le sous-marin de la vidéo est une maquette miniature, et que cette navigation dans les profondeurs du lac glaciaire n’est rien d’autre qu’une mise en scène qui vise à représenter des étendues de plusieurs milliers de kilomètres grâce à un décor qui tient en fait dans un aquarium.

À travers ses productions, l’artiste mène à bien une recherche archéologique sur le matériel, les caméras et les dispositifs techniques. Grâce à une série de recours cinématographiques – le grain des images filmées en noir et blanc par une caméra 16mm, le son en anglais avec des interférences – Ramos s’efforce aussi d’imiter l’esthétique de ces images censées avoir été capturées-au-fin-fond-de-l’univers (ou capturées-dans-les-profondeurs-de-la-mer), comme une preuve de réalité et d’existence. Elle met tous ces éléments au service de la création d’un récit visuel crédible, qui communique la tension éprouvée par la personne filmant le documentaire quand elle a l’ambition de refléter la réalité. Ainsi, ce travail démontre que la production de documents audiovisuels scientifiques est capable de dissimuler une mise en scène digne d’Interstellar de Christopher Nolan.

Il n’y a pas de raison pour que les machines soient plus crédibles que les Européens revenant au XVIIe siècle de leurs expéditions aux Amériques avec des descriptions de monstres marins dotés de dizaines d’yeux et de plumes. Vostok, avec son esthétique audiovisuelle explorant des marges inconnues que seuls peuvent atteindre des instruments mécaniques conçus comme des extensions de nos corps, démontre la façon dont toute image peut être construite. C’est un montage même si cela n’y ressemble pas. Ce que nous voyons ne pourrait pas avoir lieu sans un acte de foi de notre part.

Melina Ruiz-Natali

 * La version originale de ce texte a été publiée le 27 mai 2017 dans la section Máquinas de visión de la revue en ligne Campo de Relámpagos.

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