Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.
Si demain l’intelligence artificielle voulait prendre le contrôle de la planète, comme le craignent les tenants de la théorie de la singularité technologique, nous lui conseillerions de commencer par les zones commerciales, ces no man’s land qui croissent comme des champignons à la périphérie des villes françaises. Ces lieux — aberrations à la fois sociale, écologique et esthétique — sont ceux où l’humanité est le plus vulnérable. L’individu n’y est plus qu’un porteur de carte bancaire ; il achète, consomme, use, élimine, éventuellement recycle, puis revient. Du point de vue des machines, le plus rationnel serait qu’il y reste ad vitam. Il suffirait d’ouvrir, dans le périmètre de ces zones, des salles de consommation sur le modèle des salles de shoot. On naîtrait entre un Carrefour et un Go Sport. On se marierait au Flunch. On s’évaderait, casque sur la tête, dans les merveilleuses contrées offertes par la réalité virtuelle. En bout de course, les cadavres et les aliments périmés fourniraient du biogaz ; celui-ci alimenterait les centrales fournissant leur électricité aux ordinateurs et aux néons des hangars à bouffe et à fringues.
Ce modèle circulaire, nous n’en sommes plus très loin. On peut même dire qu’inconsciemment nous y aspirons. Ne manque plus qu’un chef d’orchestre : l’intelligence artificielle ou, comme on dit depuis peu, les intelligences artificielles. Elles ne se feront pas prier : les machines et le marché ne demandent pas mieux que de prendre la baguette pour nous faire tourner en rond, le plus longtemps possible.
Bien sûr, cette perspective orwellienne semble peu engageante, pourtant, depuis que nous avons des smartphones dans nos poches, nous y fonçons droit et sans trop rechigner car l’être humain préférera toujours le confort et la tranquillité à la liberté. Dans notre monde désormais sans grand avenir, du moins avec le modèle de société actuel, nous voulons nous en remettre à des autorités et à des guides. Or qui d’autres que Google, Amazon et consorts peuvent mieux nous fournir cette fluidité efficace et rassurante ? Ces entreprises ont besoin d’un monde durable et sont prêtes à tout pour le faire durer. La création de camps de consommation gérés de A à Z par les ordinateurs serait la solution idéale pour la planète et les profits, pour autant qu’on offre à leurs résidents suffisamment de divertissements et de diversion, domaines dans lesquelles l’univers numérique ne manque pas de ressources.
La ville où j’habite vient d’ouvrir une ligne de bus quasi gratuite pour relier le centre-ville aux deux grandes zones commerciales qui la bordent. Elle prépare par ailleurs la création d’“écolotissements” situés à leurs portes. Ma ville, comme beaucoup d’autres, a compris qu’il était inutile de combattre l’inéluctable. Les habitants ne sont pas toujours faciles à convaincre car ils veulent préserver ici un champ, là une église, ailleurs un mode de vie. Ce sont des combats d’arrière-garde. On ne peut pas tout avoir. Les machines savent mieux que nous ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. L’homme n’est pas réaliste, dont le désir est sans bornes. Pour sauver la planète, il faut la sauver des hommes.
Aux derniers réfractaires, nous conseillons le maquis où, autour de feux de camps, ils pourront reprendre en chœur le Only People de John Lennon :
Seuls les gens savent comment parler aux gens
Seuls les gens savent comment changer le monde
Seuls les gens réalisent le pouvoir des gens
Un million de têtes valent mieux qu’Une.
Alors allez, allons-y.
Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde
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