Un reportage de près de 1500 photos faites par un jeune soldat allemand durant toute la Seconde guerre mondiale, présentant l’Occupation en France (et dans les îles anglo-normandes) sous un angle très subjectif : c’est ce trésor inédit, réuni par un collectionneur privé, qu’a exhumé le jeune historien allemand Valentin Schneider. Ce dernier a pu identifier le photographe (Egon Pfende), puis il a édité et documenté l’album. Le fruit de ce travail va être l’objet de quatre ouvrages, dont les deux premiers paraîtront en France le 15 novembre.
Ces ouvrages présentent un double intérêt, historique et photographique. Les images d’Egon Pfende nourrissent en effet une sorte d’histoire non violente de l’Occupation en Europe de l’Ouest telle que l’ont vécue certains soldats allemands. Elle est vue ici à travers l’objectif d’un jeune homme de 20 ans à peine qui, opérant au sein d’une unité éloignée des zones de conflit, s’intéresse principalement à la vie quotidienne des soldats et à celle des populations civiles. Reste à savoir quel était son degré de naïveté. “Bien que l’on ne connaisse pas le parcours politique de Pfende, on perçoit à travers ses photos une certaine fierté de servir l’Allemagne nazie”, note Valentin Schneider. Ce contre-champ de l’horreur occulte la rigueur de l’Occupation en en offrant une vision éminemment singulière et décalée. C’est évidemment à cette aune qu’il faut les considérer.
Intérêt photographique ensuite car beaucoup des clichés sont de qualité, et nous renseignent de surcroît sur l’usage de la photo dans l’Allemagne nazie. La photographie amateur dans les zones occupées, à l’arrière de la ligne de front, ne connaissait que très peu de restrictions.
Docteur en histoire de l’université de Caen, Valentin Schneider a fait naguère un important travail sur les prisonniers de guerre allemands en France. Il s’intéresse actuellement à l’Occupation allemande en Grèce.
Édouard Launet
Valentin Schneider, Le Regard des autres, documentation photographique de l’occupation allemande en France, éditions Schneider Média, volume I et volume II (128 pages, 19,90 euros chaque).
Le photographe

Autoportrait d’Egon Pfende au château de Louvigny, près de Caen, au début de l’été 1940
Egon Pfende, né en 1920, fit la guerre dans la Luftwaffe, affecté au service de la construction. Tout au long de l’Occupation, il a fait pas moins de 1475 photos, lesquelles ont fini chez un antiquaire allemand. Ce dernier les a vendues (sous forme de négatifs au format 4,5 x6 cm) à un collectionneur français en 2005. Les négatifs étaient rangés dans une centaine d’enveloppes en cellophane, chacun portant une description sommaire de son contenu. Le nom du photographe n’était pas mentionné mais, avec l’aide de journaux allemands qui lancèrent un appel à témoins, le chercheur Valentin Schneider a pu établir son identité.
Pfende a été fait prisonnier en mai 1945. Il reprit des études d’ingénieur en 1949. Il devint ensuite chercheur, en Allemagne puis en Suisse. Il revint en 1965 à Munich où sa trace se perd.

Utilisant un retardateur, Egon Pfende a parfois à peine le temps de se glisser dans le cliché. Ici dans le salon familial de la famille Walldorf, en Hesse Rhénane, durant l’hiver 39/40

Photographié par un camarade sur le quai de la gare de Wiesbaden le 17 mai 1940, avant son départ pour la guerre
Un goût particulier pour le portrait

La Wehrmacht, amie des bêtes?
La guerre vue de biais, avec un biais

Un groupe de soldats dans le parc du cloître de la Congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, à Marxheim (Bavière) en mai 40, juste avant le début de la campagne de l’Ouest.
Egon Pfende aura finalement traversé la guerre avec, à la fois, un œil acéré et des œillères. Comme quoi voir est autant une question de morale que d’optique.
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