Le château de Chaumont-sur-Loire et son splendide parc arboré dominant la Loire, habité par Catherine de Médicis et Diane de Poitiers, propriété de la famille de Broglie depuis la fin du XIXe siècle, a été racheté par la région Centre en 2007. Dans ce lieu de culture depuis plusieurs siècles, on se dit que Léonard est passé par là. Les murs des couloirs et escaliers couverts de photos de Maharadjah et de têtes couronnées, témoignent de la passion orientaliste de la princesse de Broglie et nous fait l’imaginer parcourant les jardins fleuris sur le dos de son éléphant – d’Asie – enterré comme un enfant chéri au fond du parc.
Tous les ans une partie de ce parc est réservée au festival des jardins qui attire un public de visiteurs passionnés venant trouver l’inspiration pour aménager leurs carrés privés. François Barré, premier président du domaine devenu établissement public proposa que le parc accueille annuellement des installations ou des œuvres d’artistes contemporains s’intégrant dans les jardins fleuris. Le domaine, aidé par la région, passe chaque année une commande à un artiste renommé que Chantal Colleu-Dumont, la directrice, choisit et encourage. Les vitraux de Sarkis, notamment, font ainsi partie des collections permanentes du château.
Depuis plusieurs années le domaine expose la photographie, les cimaises du château, des dépendances de la ferme ou des écuries se prêtant à des accrochages prestigieux. Ce 19 novembre Chaumont inaugurait une nouvelle saison photographique après deux ans ensommeillés par la Covid. Comme l’écrit Chantal Colleu-Dumont, « cette quatrième édition de Chaumont-Photo-sur-Loire rassemble cinq artistes ou duo d’artistes liés par leur émotion devant le paysage, toujours se tenant devant lui, selon la belle formule de François Cheng, “œil ouvert et cœur battant”, que ce paysage soit admiré sans réserve pour sa splendeur ou envisagé dans toute la complexité d’une beauté meurtrie par l’action humaine. »
Raymond Depardon a choisi de présenter quelques photos de la Ferme du Garet, la ferme de son enfance qu’il avait publiée dans un livre paru en 1993 aux éditions Carré puis réédité en 1997 par Actes Sud. Granges, céréales et charolaises illustrent le souvenir de la France rurale qu’on aimerait préserver. Cette sélection de photographies en couleur tirée en grand format donne une idée un peu partielle du travail mémoriel et de l’ensemble des souvenirs familiaux, personnels, que Depardon a su rassembler dans son livre, document exceptionnel sur la vie rurale après la guerre de 39-45.
Dans la cour de la ferme, Tania Mouraud présente cinq séries. Plasticienne, elle nous offre Nostalgia et émergences, des images de végétaux dans les neiges de Nijni Novgorod, de grand tirages blancs d’où ressortent les herbes qui pointent. Borderland, Balafres, Film noir, Désolation row quatre autres accrochages qui sont autant de réflexions sur la beauté surgissant des horreurs qu’on inflige à notre monde.
Clark et Pougnaud sont peintres et photographes, couple montrant leur rêves de jardins avec des images mêlant réel et fantasmagories. « Rechercher dans le jardin-potager, sur les chemins, dans les buissons, des formes et des couleurs si belles qu’on les rapporte à l’atelier », nous disent Virginie Pougnaud et Christophe Clark.
Pascal Convert est artiste. Quand il photographie les falaises de Bâmiyân et ses grottes et bouddhas géants, c’est une mémoire panoramique qu’il nous permet de préserver, déjà accrochée au Louvre-Lens. Il nous dit être hanté par la mémoire. La bibliothèque de Broglie qui a déjà brûlé en 1957 est le lieu qu’il a choisi pour disposer sur les rayonnages d’étranges cristallisations de livres, le verre fondu et sa matitude symbolisant le temps passé.
Livres, installation de Pascal Convert au Domaine de Chaumont-sur-Loire © Éric Sander
Edward Burtynsky, photographe canadien de grande renommée bénéficie de l’ensemble des salles du premier étage duchâteau pour une sélection de grands tirages extraits de ses derniers livres Water et Anthropocene. Burtynsky doit sa renommée aux livres qu’il a publiés (éditions Steidl), le premier Manufactured Landscapes (2003), puis China (2005), Quarries (2007), Oil (2009). Water paru en 2013 précède Anthropocene,le dernier opus publié. Sans vouloir vexer quiconque, Edward Burtynsky montre les pires souffrances que l’homme inflige à la planète.
Water et Anthropocene, expositions d’Edward Burtynsky au Domaine de Chaumont-sur-Loire, 2021
Comme la beauté que peuvent inspirer des ruines, ses photographies, souvent prises d’avion, surplombent somptueusement les dégueulis d’une civilisation en déclin. « J’aime travailler sur de grands formats, de larges aplats. Quand on se place devant, on peut ressentir une sorte d’expérience corporelle, sensorielle. On a le sentiment de planer au-dessus du paysage, d’avoir le vertige, de développer une relation particulière avec l’endroit observé. Beaucoup disent que ces images sont terribles. Oui. Elles montrent un désastre. Mais nos villes, les bâtiments dans lesquels nous vivons, le sont autant. Ce que vous voyez, c’est notre vie de tous les jours ! Je voudrais montrer que ces mondes sont les nôtres. On ne vit pas en ville, on n’achète pas sa voiture, sans puiser dans des gisements de cuivre ou de fer, sans créer du plastique. Tout est intimement relié. C’est de cela dont je veux parler. »
Et c’est cela qu’il faut de toute urgence aller voir à Chaumont.
Gilles Walusinski
0 commentaires