Dans Het Land Nod, le dernier spectacle du collectif anversois FC Bergman, la seule voix identifiable est celle de Jean-Luc Godard. Elle est tirée d’une séquence de Bande à part, un film de 1964. “Franz avait lu dans France-Soir qu’un Américain avait mis neuf minutes quarante-cinq pour visiter le musée du Louvre”. Dans le film, Arthur, Odile et Franz (Claude Brasseur, Ana Karina et Sami Frey) battent le record en trois plans et neuf minutes quarante-trois.
Dans le spectacle du FC Bergman, le musée n’est pas le Louvre mais le musée royal des Beaux-Arts d’Anvers. Et la visite dure plus longtemps, même si elle se cantonne à une seule salle, placée au centre du bâtiment, celle des Rubens. Une salle inaccessible aujourd’hui, le musée connaissant d’importants travaux de rénovation. Qu’à cela ne tienne : le FC Bergman se propose d’installer les spectateurs dans le lieu d’origine, reconstitué à l’identique. Ne manquent que les Rubens aux murs. À l’exception d’une crucifixion, connue sous le titre Le Coup de lance, où le Christ est entouré des deux voleurs. Une toile, accrochée sur le mur côté jardin, que la plus grande partie des spectateurs distinguent mal.
Il se passe de drôles de choses dans le musée du FC Bergman. Le statut même de la salle est sujet à caution. Elle a l’air fermée : au début du spectacle, des employés du musée s’affairent à décrocher l’immense tableau, le dernier qui reste ; mais pour une raison obscure – il semble qu’il ne passerait pas par la porte –, ils changent d’avis et le laissent en place. La salle est surveillée par un gardien, en liaison permanente avec son chef par talkie-walkie, et seul le personnel du musée semble autorisé à entrer.
Mais des intrus s’invitent : un type entre en courant, se déshabille, reste prostré devant le Rubens ; une jeune femme entre à son tour et s’évanouit, après avoir uriné sous elle. Un homme en smoking et lunettes noires vient à intervalles réguliers vider ses poches remplies de petits papiers déchirés. Tout se dérègle, l’employé monté à l’échelle pour vérifier les dimensions exactes du tableau a le plus grand mal à manipuler son mètre pliant, finit par perdre l’équilibre, et se retrouve pendu à la toile. Deux touristes japonais se font un selfie sans même le remarquer.
La salle vide mais hantée par des visiteurs improbables, qui peut-être rejouent des scènes inspirées des toiles décrochées, est à la fois un abri qui conserverait des bouts d’histoires de tous ceux qui l’on fréquentée et le lieu de la destruction imminente quand murs et linteaux commencent à s’effondrer dans un nuage de poussière. Le monde extérieur menace, un camp de réfugiés se forme, des explosions retentissent. Et Le coup de lance de Rubens finira quand même par être évacué par la porte plastiquée. Le tout, on l’a dit, à peu près sans mot dire. Drôle, absurde ou déroutant, le spectacle du FC Bergman ne livre pas de notices explicatives avec les images et c’est très bien comme ça. Décalé, le regard qu’il pose sur le monde est aussi très attentif aux détails, aux gestes anodins et incongrus. Dans Bande à part, la voix de Godard, à l’issue de la visite du Louvre, annonce que “Arthur, Odile et Franz avaient battu le record établi par Jimmy Johnson de San Francisco”. La phrase n’est pas reprise dans le spectacle mais l’intention y est.
René Solis
Het Land Nod (Le Pays de Nod), par le Collectif FC Bergman, Parc des expositions d’Avignon, jusqu’au 23 juillet.
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