Impossible de reprocher à la compagnie Birgit Ensemble un manque d’ambition. Les deux spectacles présentés à Avignon, Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes constituent les deux derniers volets d’une tétralogie intitulée Europe, mon amour. Les metteuses en scène Julie Bertin et Jade Herbulot et leurs acteurs, qui sont nés à la fin des années 1980, entendent questionner l’histoire de l’Europe de 1945 de nos jours. Une histoire envisagée sous l’angle de l’amour déçu. Leur approche mêle documentaire, fiction, satire, cabaret, tragédie. Et leur relecture des événement historiques est clairement partisane. Les deux spectacles sont par ailleurs différents dans la forme ; Sarajevo est un drame choral, Athènes une farce interactive. Points communs entre les deux, la présence de la déesse Europe, en figure archaïque permettant de remonter aux sources, le viol d’Europe par Zeus ; et le mauvais rôle donné aux institutions européennes et aux dirigeants politiques.
Chargé d’émotion, Memories of Sarajevo suit un groupe de jeunes habitants de la ville au long des quelque quatre ans de siège (d’avril 1992 à février 1996), tout en fournissant aux spectateurs un rappel des principaux événements – l’échec des plans de paix successifs, l’impuissance de la communauté internationale et d’abord de l’Union européenne… La scénographie est à double niveau : en haut sur une estrade, les acteurs politiques – leaders des trois communautés, dirigeants étrangers et négociateurs –, en bas la population de la ville assiégée. Pantins et salauds d’un côté, jeunes héros tentant de maintenir la flamme de la liberté de l’autre, le propos souffre d’un manichéisme bien intentionné. Ce qui gêne est moins la lecture des événements en elle-même qu’un traitement oscillant entre documentaire et fiction, sans aller au fond des choses et finissant par susciter plus de doute que d’adhésion.
Dans les ruines d’Athènes est plus amusant et plus abouti. Grâce à une idée de départ qui fonctionne : pour raconter la crise, le Birgit Ensemble imagine une émission de télé-réalité, Parthenon Story, où six concurrents portant des noms de héros antiques : Médée, Antigone, Cassandre, Ulysse… sont enfermés dans un loft. Prix pour l’heureux gagnant : l’effacement de sa dette. L’aventure tourne peu à peu au cauchemar, la production multipliant les croche-pieds, à mesure que les sponsors se retirent et que les conditions à l’intérieur du loft se détériorent : plus de clim, plus d’électricité, plus d’eau… C’est parfois très drôle et souvent pertinent, avec là aussi en contrepoint, les oukases des dirigeants européens – Merkel, Junker, Sarkozy puis Hollande, Strauss Kahn puis Lagarde pour le FMI – face aux Premiers ministres grecs successifs qui boivent l’humiliation jusqu’à la lie. On souhaiterait pourtant, cette fois encore, plus de rigueur et moins de caricature. On est loin, très loin de la pertinence et de l’audace d’un Milo Rau, capable lui d’aller au cœur du mal européen quand le Birgit Ensemble tourne autour.
René Solis
Théâtre
Memories of Sarajevo et Dans les ruines d’Athènes, par le Birgit Ensemble, jusqu’au 15 juillet (17h et 20h30) au gymnase Paul Giéra, Avignon
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