Chanson de gestes –oubliés, mis au rebut, injurieux, réprimés, automatiques, de séduction– lexique muet qui dit nos nouvelles manies, nos censures corporelles, nos abandons, nos égarements…
En ces vacances de février propices aux joies de la glisse, nous rendant à Avignon pour le festival de danse Les Hivernales, quelle ne fut pas notre stupeur de voir débarquer gare de Lyon Part-Dieu pour une correspondance vers la montagne, un robot entièrement de blanc vêtu, jusqu’à la cagoule. L’image aurait pu éveiller notre sens esthétique car nous aimons les déguisements mais ce qui semblait ressembler à un homme rata le marchepied et s’affala lamentablement sur le quai. C’est là que notre regard se porta sur d’étranges cothurnes, blanches elles aussi. Elles enserraient la cheville de l‘individu, lui bloquant toute possible articulation. À même le sol, alors qu’il devait rêver d’étrenner son nouveau costume, il était aussi malhabile qu’une tortue sur sa carapace.
L’exercice du ski est difficile, surtout dans une gare. En partance pour la montagne, le malheureux robot aux articulations immobilisées n’aura pas eu la chance de se confondre avec le blanc immaculé des pistes aux aurores avant l’arrivée de mille autres chevilles condamnées. Il serait parti en pantoufles, il serait sans doute arrivé…
Là-haut, sur les sommets, ce n’est guère mieux. Tant que le skieur est debout, il peut impressionner, soulevant des nuages de poudreuse, glissant avec délice alors qu’à la terrasse, sirotant un vin chaud, on attend sa chute. Qui est obligatoirement lamentable. Ne pouvant courir à cause de ses coques rigides pour rattraper son ski qui dévale sans lui, levant les bras au ciel en se donnant des coups de bâton, il est comme un vieux robot déglingué, modèle ED-209, que la dame blanche des légendes a abandonné. Foutu. Hi ! Hi ! Le vin chaud est délicieux.
Ce n’est pas tout. Lorsque, après une journée harassante à monter-descendre, il se remet sur la terre ferme, il avance dans un cliquetis infernal de crochets qui s’entrechoquent, fragile sur ses jambes fatiguées et bloquées par les chaussures véritables objets de torture. Là encore, on ne peut que se désoler de sa marche robotique, machinale. Le skieur n’est pas une drag-queen qui sait défiler et manier le talon. Il n’est pas non plus le chasseur alpin plus rapide que tous les autres fantassins qui, avec ses 130 pas chasseur à la minute, avale la pente. Il est encore moins l’artiste et performer sud-africain Steven Cohen juché sur d’invraisemblables cothurnes dont une paire faite avec de vrais crânes humains.
La neige se faisant rare, les stations devraient envisager des reconversions dans les cours de maintien, libérant ainsi les chevilles ouvrières.
Marie-Christine Vernay

Le robot Nao © aldebaran
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