Le genre idéal est noir. Comme un polar, un thriller, une enquête judiciaire ou un roman naturaliste. Et c’est de l’humain, de la tragédie grecque, du meurtre, en série, passionnel, accidentel, d’État, ordinaire parfois.
Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute et s’il y a quelques auteurs sans peur du ridicule, mèche parfaite, communicants sensibles, à l’habit négligé-recherché qui, le temps de la promo, galvaudent le propos en enfonçant les portes ouvertes sur le fabuleux travail que font les libraires tout sauf dupes de la flagornerie, cela ne m’empêchera pas de dire la même chose : oui, trouver en pile sur un coin de table un livre inconnu avec un coup de cœur dessus, bénéficier de l’avis de celui qui l’a posé, qui partage son plaisir ou le choc de l’histoire lue en y mettant ses mots et son âme, oui cela n’a pas de prix. Et cela même si le fait de se laisser tenter n’a parfois rien à voir avec ce qui est écrit.
Rayon des littératures d’Europe, dans une librairie de Lyon. Terre des affranchis de Liliana Lazar, paru chez Gaïa en 2009, doté d’une douzaine de prix dont celui des Cinq continents de la francophonie, réédité en Babel. Premier roman, écrit directement en français par une femme née au début des années 70 dans un village de Moldavie roumaine : « un récit policier aussi inquiétant qu’un conte » dit la quatrième. Une histoire autour d’un lac maléfique perdu dans la forêt, où furent noyés au 16e siècle des milliers de soldats turcs en déroute, où flottent régulièrement des cadavres comme des offrandes, entourés d’une terre païenne de légendes et de sorciers dans un temps narratif allant de la fin du règne du dernier roi des Roumains à la chute de Ceausescu. Pulsions. Textes sacrés. Parricide et dévotion. Mineur terrifiant. Mandragore. Femmes laides et chaudes. Cercueils. Cimetière. Meurtres et superstitions. Clergé corrompu et prêtres résistants. Securitate. Paradoxe de la foi… Tout cela est dans le livre et s’y trouve parfaitement bien, remis dans l’ordre et maîtrisé pour des personnages épais comme des souches, noirs comme les nuits qu’ils traversent.
Mais ce n’est pas pour cela que le conseil indirect du libraire a fonctionné comme un piège dans le bois, prêt à claquer sur la patte du renard. Ce n’est pas parce que le professionnel est bon et qu’il sait donner au visiteur l’impression d’être chez lui, s’effaçant quand il le faut. Non. Ce n’est pas non plus le mystère émanant du visuel de couverture fait d’un arbre aux branches comme des racines avec la lune blanche pour annoncer la venue des moroï.
C’est l’actualité. Et les images. Les milliers de Roumains dans la rue pour faire taire l’insulte des impunités décidées avec arrogance par des oligarques. Les Coréens, par millions, pour faire la même chose. Des Américains dans les aéroports qui souhaitent la bienvenue à des inconnus et le Premier ministre québécois qui, avec des mots simples, évidents, replace l’humain au centre de sa dignité, comme aucun membre du gouvernement ne l’a jamais fait en France. C’est la presse internationale qui pointe ce fameux pays des droits de l’homme comme ayant la classe politique la plus corrompue d’Europe, avec l’Italie, et dont les mentors s’accrochent, même pris en flagrant délit, sans une once même de lucidité quant à leur médiocrité. C’est l’envie de lire une auteure venue d’un pays où une large part de la population bouge dans le bon sens. Roumanie. Un roman fait de ce sang là. Pour voir autre chose. De cette histoire là qui mène à la révolte et au refus de l’à-quoi-bon et du tous-pourri. Un roman qui n’a rien à voir avec le contemporain, mais qui parle aussi de résistance et permet l’évasion. Atypique. Polar assurément. Littéraire et entraînant. Avec policier, psychopathes, meurtres, menteurs et rédemption. Dont le personnage central est ce lac maudit dit de La Fosse aux Lions anciennement nommé La Fosse aux Turcs qui fait d’un enfant son protégé, son âme damnée, son pourvoyeur de peines et de corps à engloutir. Victor. Perdu au cœur de la forêt moldave, à qui sera fait don d’un livre pour changer sa vie.
Lionel Besnier
Le genre idéal
Liliana Lazar, Terre des affranchis, Babel, 2011
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