Des fissures qui entrouvrent un sol de béton. Des fils qui cousent le sable.
Une encre soufflée qui infiltre la trame d’un papier.
L’éventail d’ombre qui apparaît à la surface d’un papier photosensible exposé à la lumière.
L’étreinte géométrique d’un papier japon encré et passé à la presse.
Un tampon obstinément appliqué à la surface des feuilles d’un cahier en papier carbone et qui répète avec entêtement : Vai Passar, Vai Passar, Vai Passar, Vai Passar… Ça passera. Mais bien sûr, rien ne passe. Le papier carbone n’oublie rien, garde tout, accumule les empreintes.
L’empreinte : s’il fallait ne choisir qu’un seul terme pour évoquer le travail de l’artiste brésilienne Maria Laet, ce serait celui-là. Mais, d’ordinaire, l’empreinte vaut par ce dont elle est la trace. En témoigne son usage policier : qu’elle soit digitale ou génétique, l’empreinte sert à identifier l’individu maladroit qui l’a laissée là. En témoigne aussi le dictionnaire, qui définit l’empreinte comme “Marque, forme laissée par la pression d’un corps sur une surface”, et qui déclare qu’empreindre c’est “Marquer par pression une forme (sur quelque chose)”. L’empreinte donc, vaut par la marque et la forme, le support sur lequel elle est faite n’ayant finalement qu’une importance secondaire, une importance si secondaire, qu’il peut même être cantonné à une parenthèse. Maria Laet, elle, prend l’empreinte à revers et ne l’utilise pas tant pour dupliquer et conserver la forme d’un objet ou d’une figure remarquables, que pour révéler les propriétés de ce “(sur quelque chose)”, de cette surface sur laquelle l’empreinte laisse sa trace.
Maria Laet travaille donc par contact – tantôt sollicitant des techniques de gravure ou d’impression traditionnelles, tantôt les détournant (ainsi lorsqu’elle choisit d’exposer directement à la lumière le papier photosensible d’un polaroïd), tantôt inaugurant de nouvelles manières de faire empreinte (en se servant, par exemple, du souffle). Toutes ces techniques sont autant de protocoles destinés à révéler ce que la surface exprime, lorsqu’on y imprime.
Le titre de l’exposition qui se tient en ce moment à la MdM Gallery, Com a Pele Fina (Avec la peau fine), condense ce parti pris. C’est la peau, entendue comme surface de contact, qui intéresse Maria Laet. Absorption, capillarité, pénétration, mise en circulation des fluides : Maria Laet démontre que les surfaces – qu’elles soient de béton, de sable ou de papier – ne sont jamais d’impassibles supports, mais des corps poreux, mobiles, réactifs et doués de mémoire, à l’instar du cahier de Vai Passar, ou des Dialogue Series, qui restituent la pénétration progressive d’une encre dans les couches successives d’une pile de papier de riz, à la manière du souvenir d’un événement, se diffusant et s’amenuisant, mais sans jamais disparaître, dans les strates de la mémoire.
Il n’y a pas de couleurs chez Maria Laet. Seulement des variations du noir au blanc, de purs effets de lumière et d’intensité. Cette absence concentre l’attention du spectateur. Privés de la vision des couleurs, nous voici soudain attentifs et sensibles au grain de l’image, au tissage du papier, aux irrégularités du béton, à tout ce qui, justement, donne corps à la surface. Cette extrême attention produit des effets de myopie : accordant à l’infime toute notre attention, on le voit et on le croit soudain immense. Face aux photographies de Milk on Pavement, on croit regarder la vue aérienne d’un fleuve laiteux traversant des étendues arides et grises, quand il s’agit en fait d’une rigole de lait qui se fraye un passage dans les fissures d’un trottoir. De même, avec la série Leitos Gráficos, on est certain d’observer l’image grainée d’un paysage vu par satellite, là où nous sommes en réalité devant l’empreinte de la peau d’un sol, que Maria Laet a réalisé par contact et encrage d’un papier japon. On songe alors à la photographie de Man Ray et Duchamp, Élevage de poussière, originellement intitulée Vue prise en aéroplane. Là encore, il s’agissait d’empreinte, une empreinte faite dans la peau fine, si fine de la poussière, un événement infime rendu grandiose, un ras du sol capable de se prétendre haut des cieux.
Nina Leger
À voir, jusqu’au 25 juin, Maria Laet, Com a Pele Fina, à la MdM Gallery, 6 rue Notre-Dame de Nazareth, 75003 Paris, du mardi au samedi, de 14h à 19h.
À noter : Com a Pele Fina est la dernière exposition de la MdMg Gallery, fondée en 2012 par Maria do Mar Guinle et entièrement dédiée à la scène artistique brésilienne contemporaine, dernière occasion donc de visiter le lieu avant qu’il ne ferme ses portes.
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