Déjà invitée par Montpellier Danse, l’Israélienne Sharon Eyal, anciennement brillante danseuse de la Batsheva Dance Company de 1990 à 2008, puis chorégraphe associée dans cette même troupe, commence par chorégraphier pour d’autres compagnies avant de fonder son propre groupe L-E-V avec son collaborateur de longue date Gai Behar, renommé dans le milieu de la musique live à Tel Aviv. Les deux qui signent une nouvelle pièce pour six danseurs OCD Love, coproduite en France par Montpellier Danse, sont tombés amoureux du poète slameur américain Neil Hilborn, atteint de troubles obsessionnels compulsifs (OCD ou TOC en Français). Le texte est une déclaration d’amour empêché.
Dans une atmosphère où domine le noir (comme beaucoup de spectacles cette année), Sharon Eyal trace une chorégraphie sans faille. On peut penser à Forsythe, à Ohad Naharin (le chef de la Batsheva), à Benjamin Millepied, à Philippe Decouflé, mais Sharon Eyal conserve une gestuelle singulière. Écrivant tout sur son propre corps avant de livrer les phrases chorégraphiques aux danseurs qui s’en emparent à leur façon, elle précise que OCD Love est “[sa] vraie première création”. Se référant également à des cinéastes comme Lars Von Trier, les frères Cohen ou Spike Lee, elle met en scène ce qui défile dans la vie sans interruption et ce qui la défie.
Ses “personnages” sont comme électrocutés à la base, dès qu’ils entrent en scène. Puis tout est question de doigté, dans la gestion des ensembles, comme dans celle de deux duos millimétrés, l’un masculin, l’autre féminin. Inutile de chercher un sens : les corps sont renversés au point que l’on ne sait plus s’ils se présentent de face ou de dos. Si l’on excepte quelque références aux pas classiques guère utiles, sinon pour le seul plaisir de la virtuosité codée, le reste est un tableau d’une société stressée sans issue de secours.
Pourtant, c’est dans la sensualité, dans les cuisses qui se frôlent, ou dans les gestes réparateurs, comme les mains qui passent et lavent les visages que l’on quitte la noirceur. Au TOC du slameur, la chorégraphe répond du tac au tac. Aucun corps, même sens-dessus-dessous ne saurait se plier jusqu’à rompre. Même hébétés, pris par la vitesse, les corps résistent à l’odeur pestilentielle qui les entoure. C’est tellement millimétré et sensuel qu’à la fin du spectacle, on ne peut qu’imaginer Sharon Eyal à la tête d’une revue pour le Crazy Horse. La pièce part en tournée en Europe, gageons que l’on reverra bientôt cette troupe sur les scènes françaises.
Marie-Christine Vernay
Danse
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