et lorsqu’il rouvrit les yeux, il reconnut son gros Rembrandt, peintre dont il admirait les autoportraits dans lesquels il lui avait toujours semblé se voir lui-même. Et plus vivement encore à l’âge qu’il avait atteint, 63 ans, le même que celui de la National Gallery, tout dans les bruns et les ocres, d’une mélancolie doucement aiguë, comme une morsure ralentie qui entraînerait la mort dans l’année. Si ce n’est moi, pensait-il chaque fois, c’est mon frère. Mais il n’avait devant lui ni un autoportrait, ni aucune des grandes compositions célèbres, la Leçon d’anatomie du docteur Tulp, la Ronde de nuit ou le Syndic de la guilde des drapiers. Page de gauche, du texte. Page de droite, une encre brune sur papier, un dessin à la plume qu’il aurait juré n’avoir jamais vu, la décollation de saint Jean-Baptiste, disait la légende. En quelques traits lâchés de sa main, de son bras, de tout son corps et de sa pensée, Rembrandt donnait à deviner le geste du bourreau remettant son sabre au fourreau. Une hésitation sur la position du bras. À terre, écroulé dans son sang, le Baptiste, la tête détachée. Il y avait là la même force, le même élan irréfrénable que dans le chant terrible de Salomé réclamant à Hérode, des sept voiles de sa folie et de toute sa puissance furieuse de femme, la tête de Jean. « Ich will den Kopf des Jochanaan! Gib mir den Kopf des Jochanaan! » Et devant ce volume qu’il avait tiré de sa bibliothèque les yeux fermés, et ouvert de même, décidé à livrer au hasard de l’image qu’il découvrirait l’ultime poussée qui le ferait sauter, ou le frein qui le retiendrait, il n’eut pas la certitude qu’il attendait. Il se sentit soudain tous les personnages et de la petite scène violente et brune qu’il avait sous les yeux et de l’autre, opératique,  plus vaste, érotique et hallucinée qui lui était venue à l’esprit : Hérode, Salomé, le bourreau sans visage, Jean. Et Strauss, et Rembrandt. Comme électrisé par la complexité d’une situation dont il ne voyait un peu plus tôt qu’un endroit et un envers, le jugement affolé, il