Un couloir argenté, psychédélique avec son chenillard de lumières arc-en-ciel. Une voix qui pourrait être celle de Hal 9000, l’intelligence artificielle badass de 2001 l’Odyssée de l’espace, enjoint, en boucle, à ne pas avoir peur : « C’est l’inconnu qui fait peur. » Il y a des poignées de porte qu’il faudrait peut-être tirer, et au bout du couloir, la voix, forte : celle d’Hélène Delprat, artiste plasticienne, qui investit la Maison Rouge à Paris, jusqu’au 17 septembre.
Pour cette exposition, « I Did it my Way », Hélène Delprat a choisi parmi des œuvres protéiformes réalisée par elle pour la plupart post-1995, après qu’elle a quitté la prestigieuse galerie Maeght. Laissant pour un temps la peinture, elle s’était alors consacrée au théâtre, à la vidéo, aux installations. C’est ce goût pour la mise en scène qu’on retrouve ici. Delprat nous place au cœur de son univers, elle nous manipule comme des marionnettes, jouant de nos peurs et de notre émerveillement, s’amusant avec nous, pour finir, plutôt que de nous.
Au sortir du couloir, le malaise se prolonge par un ensemble d’œuvres peuplées de figures cauchemardesques : une tête de Mickey tout droit sortie d’un mauvais trip sous LSD – Grrrrrrrrrr, 2017 ; des diables tenant un miroir dans lequel nous nous reflétons, déformés. Peut-être parce qu’on n’est jamais loin du ridicule, du grotesque, on s’interroge : doit-on vraiment être à ce point dérangé par ces étranges têtes aux allures de fleurs de pissenlit spectrales rassemblées sur une toile dont les sonorités du titre, Peinture pourrie, rappellent une blague d’enfant ?
À mesure qu’on progresse dans l’exposition, l’intention ludique d’Hélène Delprat gagne du terrain. On la devine s’amusant de l’effet que fera tel ou tel choix scénographique.
Derrière une cloison, deux personnages à tête d’oiseau regardent la télé dans un décor néo-bourgeois (La Chambre des oiseaux, 2017). Ils sont inquiétants, surprenants. Ils ont pourtant l’air de s’ennuyer ferme face à un écran où William Burroughs veut tuer Shakespeare, tandis que dans un jeu de mise en abîme, nous nous trouvons de fait, en tant que spectateur-voyeur, un acteur essentiel de cet ensemble absurde.
À mi-parcours, un gigantesque portail gothique en polystyrène confirme le goût de Delprat pour la mise en scène. On entre dans une cour à la fois féerique et cinématographique avec, d’un côté un mur de paillettes, de l’autre une photographie gigantesque noir et blanc d’un escalier extraite du Château du dragon (1946), un film de l’Américain Joseph L. Mankiewicz – frère d’Herman, coscénariste de Citizen Kane, chef-d’œuvre auquel on pense aussi dans ce décor démesuré. Ici, Hélène Delprat se pose en « Bouvard et Pécuchet féminin » avec la projection de Comment j’ai inventé Versailles (2002), extrait de la série « Le jour où j’ai inventé », dans laquelle elle incarne des personnages réels. Décalage et humour font loi pour l’artiste qui prétend « inventer des choses extraordinaires qui n’ont pas besoin d’[elle] pour vivre ».
La pièce suivante ébrèche la question du beau et du bon goût. Le papier peint au motif de tartan s’y frotte à des portes recouvertes de fausse fourrure. Un âne à deux têtes porte les couleurs du mauvais goût (Bad Taste Donkey Burger, 2007), animal qu’on retrouve incarné par l’artiste brayant dans la vidéo Hi-Han Song Remix (2013). La question posée aux élèves de terminales ES à l’occasion du bac de philo 2017, « Une œuvre d’art est-elle nécessairement belle ? », trouve ici de facto sa réponse. Pour Hélène Delprat qui cite Macbeth : « Fair is foul and foul is fair » (« Le beau est immonde et l’immonde est beau »).
Avant de retourner au monde réel, il faut profiter de l’autre exposition visible à la Maison rouge jusqu’au 17 septembre qui, elle aussi, fraye avec des thématiques de cauchemar. Au sein de « Inextricablia, enchevêtrements magiques », la commissaire d’exposition Lucienne Peiry convoque les thèmes de l’enchevêtrement, du laçage, de l’objet rituel ou des talismans très présents dans l’art brut. Vêtements tressés de l’Écossais Angus McPhee, « objet magique » congolais en fibres végétales, poupées témoins de Michel Nejar… Ces tissages trouvent un étonnant écho les uns dans les autres, quelles que soient leurs origines. Et il est surprenant de suivre les ramifications de cette thématique jusqu’à l’art contemporain et le spectaculaire Mes vœux sous filets (1997-1999), composition de photographies sous cadres en forme de cœur prise dans un filet, d’Annette Messager.
Stéphanie Estournet
Arts plastiques
Hélène Delprat, « I Did it my Way », et « Inextricabilia, enchevêtrements magiques » : deux expositions à La Maison rouge, jusqu’au 17 septembre 2017
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