“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Le Paris Saint-Germain : chance ou problème pour la Ligue 1 ? Face à l’évidence que bon nombre d’équipes ont joué leurs meilleurs matchs de la saison contre le club de la capitale, le débat n’a plus lieu d’être. Seule question qui demeure : pourquoi les Toulouse, Marseille et autres Lyon ne jouent-ils pas aussi bien le reste du temps ?
Les mécanismes psychologiques de la motivation sont obscurs. S’il suffisait d’un enjeu supérieur, ou d’affronter plus fort que soi pour se bonifier, le bilan des clubs français en coupe d’Europe serait meilleur. Bien sûr, battre un club invaincu depuis trente-six matchs peut s’avérer un objectif en soi. Surclasser le champion, c’est devenir symboliquement un peu champion soi-même : on ne retient le nom de Robert Ford que parce qu’il a assassiné Jesse James. Sans compter qu’une seule rencontre suffit à une telle consécration, alors que le chemin est long pour un trophée. Un minimum d’effort pour un maximum de gloire. Encore faut-il y parvenir…
Néanmoins, ne sous-estimons pas un autre ressort psychologique, qui tient à l’orgueil et à une forme de nationalisme : rien n’est plus important que de rester maître chez soi. En France, joueurs et entraîneurs préfèrent remporter le championnat domestique que les coupes européennes, du moins le répètent-ils face aux caméras, et leurs résultats semblent l’accréditer. Toute considération financière mise à part, le premier n’a objectivement pas le prestige des secondes, et Napoléon atteste que la France paraît petite à qui pourrait régner sur l’Europe. Mais le football n’échappe pas au chauvinisme : délaisser la Ligue 1 pour des objectifs internationaux reviendrait à trahir la patrie. Il faut être maître chez soi : peu importent les humiliations européennes contre des clubs inférieurs tant qu’on peut faire tomber le Paris Saint-Germain !
Cet orgueil nationaliste en rejoint un autre dans le football : l’exigence de l’emporter dans son stade. Généralement, on considère que l’équipe qui joue à domicile à l’avantage d’être encouragée par son public. Mais quel avantage tire le FC Monaco de jouer dans un stade Louis-II vide ? Ou Toulouse devant les spectateurs du Stadium tout acquis à la cause du rugby ? Quant à Marseille, un public aussi passionné qu’exigeant peut motiver comme il peut inhiber, témoins les quatre défaites et huit matchs nul au Vélodrome cette saison. Et pourtant, on exige d’une équipe qu’elle soit maîtresse chez elle. Il y a de l’instinct de propriété, la vieille prétention du bourgeois casanier qui exige le respect dans sa maison, et aussi des relents de patriotisme : le “aux armes” que scandent les virages du Vélodrome a des échos de Marseillaise, et les adversaires des airs d’envahisseurs. Le rance “on est chez nous” que d’autres opposent désormais aux réfugiés politiques, les supporteurs l’entonnent depuis longtemps dans les stades : pas de réflexe sécuritaire ni de xénophobie là, mais un vieux fond de souverainisme venu du fond des âges, la défense d’un chez-soi plus symbolique que réel : notre territoire, notre loi !
Le stade, c’est l’espace de la communauté, la grotte préhistorique où l’on entretient le feu, et le refuge contre les animaux sauvages. Le groupe social s’y construit, selon les lois qu’il élabore en propre. La sociologie sait depuis Henri Lefebvre que produire de l’espace revient à créer de l’identité. Nulle part ailleurs, il n’est permis d’être autant soi-même tout en s’inscrivant dans une collectivité. La place identity, disent les anglo-saxons. Le stade est pour le supporteur un foyer à son image, il se l’approprie, il s’y identifie, le stade lui appartient, il le définit. Pas question alors que les cohortes étrangères viennent “faire la loi dans nos foyers”, que ces féroces soldats viennent mugir dans nos campagnes…
Lyon avait joué trois fois contre Paris cette saison : en championnat, en coupe de la Ligue et en coupe de France. Trois fois à l’extérieur, trois défaites, dix buts encaissés pour deux marqués. Mais dimanche, Lyon a infligé à Paris sa première défaite (2-1) au terme d’une performance exceptionnelle, à domicile, dans un nouveau stade qui a enfin un nom : le Parc Olympique Lyonnais. Le choix n’est pas anodin, qui établit le lien avec le Parc des Princes du rival parisien. À la différence près que le PSG n’est que locataire de son stade, alors que l’OL est propriétaire du sien, un cas unique en France. Invaincu à domicile depuis son inauguration, l’Olympique lyonnais y est vraiment “chez lui”, les réflexes casaniers peuvent y jouer à plein : il n’en fallait pas moins pour faire tomber un tel Paris Saint-Germain.
Sébastien Rutés
Footbologies
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