C’est une idée communément admise que la qualité d’un match de football se mesure à l’aune du spectacle proposé. Or, il n’en a pas toujours été ainsi : les raisons de l’intérêt qu’on porte au football ont évolué en même temps que les sociétés, tout comme son statut et ses fonctions.
Inutile de remonter au vieil hurling over country anglais qui opposait des équipes de plusieurs dizaines de joueurs sur des terrains de campagne de trois ou quatre kilomètres, forme archaïque de ce sport, à l’opposé de la notion même de spectacle : lorsqu’on inventa terrain et stade, ce ne fut pas le spectaculaire qu’y vinrent chercher les premiers fans, mais des émotions.
La différence entre le spectacle et l’émotion, c’est celle qui sépare le spectateur du supporteur. Une seule chose compte pour ce dernier : le résultat. Qu’importe la manière ? Le supporteur se contentera d’un seul tir dans le match s’il fait gagner son équipe. Un but acrobatique ne vaut pas plus au compteur d’affichage qu’un autre marqué de la main ou de la fesse. Le résultat donne rétrospectivement sa valeur au match, l’importance de chaque geste se mesure à la part qu’il y a pris, rien ne vaut qui n’y conduise. La beauté du geste, le supporteur la laisse aux esthètes…
Or désormais, l’accent est mis sur le spectaculaire. Il faut courir plus vite, sauter plus haut. Des acrobates, des jongleurs, des prestidigitateurs, voilà ce qu’on exige que les joueurs soient. Il faut des gestes sensationnels, des avalanches de buts extraordinaires et du suspense. Pourquoi ce changement ? Parce que la simple émotion de la victoire n’est pas télévisuelle, pas rentable, d’autant moins qu’on a aseptisé le football, purgé la violence d’un sport interdit à ses origines pour les dommages qu’il causait. La télévision, et surtout l’argent déplacent l’intérêt sportif : le football est désormais plus prévisible, les équipes les plus riches gagnent plus souvent, chacune a sa place bien définie au classement en fonction de son budget. Alors, pour compenser, on a imaginé de promouvoir le spectacle…
Mais pour le supporteur, le football n’est pas une simple extériorité, pas seulement un divertissement. Il participe de l’identité. On n’assiste pas à la victoire ou la défaite de son équipe : on y prend part, physiquement et spirituellement. On ne regarde pas : on vit. Il faudrait désormais que le supporteur soit un spectateur, un observateur, tout seul devant son écran, sans violence, consommateur. Alors que son intérêt pour le football est ailleurs : dans les structures de compensation mythique qui voient les petits battre les grands, les faibles renverser les forts ; dans le simple manichéisme de la victoire ; dans les codes identitaires qui définissent les solidarités symboliques ; dans le dépassement individuel et le combat contre le destin…
Ce sont deux logiques qui s’opposent, et qu’on retrouve aux deux premières places du classement, occupées par le Paris Saint-Germain et le SCO d’Angers. Le premier incarne parfaitement la logique médiatique : une équipe bâtie à coup de millions qu’il faut rentabiliser en remplaçant les ultras par des spectateurs, presque des visiteurs, venus en famille au stade comme on emmène les enfants au cirque, et à qui il faut offrir un show relayé par les chaînes de télé avec lesquelles le club est – ou a été – structurellement lié (Canal+ et Bein Sport). De l’autre, une équipe revenue en Ligue 1 après vingt-et-un ans d’absence, et qui n’a pas pris en marche le train du spectacle : la quatrième pire attaque du championnat, la dernière à domicile, neuf buts sur seize marqués sur coup-de-pied arrêtés, et une défense de fer comme meilleur atout. Selon les critères actuels, le classement d’Angers serait une catastrophe s’il restait le même jusqu’à la fin du championnat : des audiences télévisuelles basses et un indice UEFA en chute libre pour la France si le SCO devait jouer la Ligue des Champions. Mais pour le supporteur, c’est la résistance du petit contre les grands, c’est lutte de la tradition face à la modernité, c’est la promotion par l’effort, l’humilité, l’opiniâtreté.
En un mot : c’est l’émotion !
Sébastien Rutés
Footbologies
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