Il faut le dénicher, ce petit centre social Soleil Saint-Blaise, square Vitruve, dans le XXe arrondissement parisien. Si l’on est “touché par les géographies oubliées”, comme l’est Bruno Rollet – il a autrefois vécu tout près de ce quartier sur dalle – on ira à sa recherche dans un paysage où l’urbanisme avait été oublié dans les années 80. Comment transformer un ancien petit local commercial désaffecté et très écrasé, encastré entre une tour de 85 mètres de haut et un immeuble de logements de 60 mètres de long, sur une dalle recouvrant trois niveaux de stationnement ? Tout cela ne transpirait ni la facilité ni la poésie. Mais beaucoup de gens vivent là, malheureux. Il était urgent que ces Parisiens bénéficient du Grand projet de renouvellement urbain de Paris, en marche depuis 2010, et qu’ils soient desservis par le tramway T3.
C’est dans cette volonté de réparation, qu’est né cet équipement de proximité conçu avec le bailleur social France Habitation, pour l’association Soleil Saint-Blaise. Il est dédié à l’accompagnement social, l’apprentissage du français, le soutien scolaire, la cuisine. Il fallait être malin pour éclairer toute la coque du magasin conservé, sombre, aveugle. Côté dalle, le nouveau petit édifice surélevé sur deux niveaux évoque volontairement une serre, une des métaphores de l’architecte. Sa façade d’entrée, vitrée, n’est pas sécurisée par un rideau métallique, mais est “fermée-ouverte” par une palissade de “gaulettes”, 330 hautes tiges de châtaigner, élément végétal intrigant qui contraste avec la brutalité minérale de la dalle. Au premier étage, surplombe une grande salle polyvalente, toute en baies vitrée elle aussi, lumineuse, équipée de pare soleil ajourés en inox.
La lumière, Bruno Rollet l’a aussi captée en ouvrant le bâtiment sur l’arrière, vers le jardin d’un immeuble donnant boulevard Davout. Un patio intérieur planté d’un pin relie dalle et jardin et organise la vie du centre au rez-de-chaussée. Des aplats de couleur, orange, violet, bleu, mis en place par Céline Langlois, découpent des extraits de façades, de toitures et soulignent les éléments techniques pour mieux les déguiser. Cela tonifie l’ensemble en dessinant le jeu de volumes du bâtiment. Avec le soleil comme allié.
“Bien qu’il s’agisse d’un petit programme, souligne Rollet, ce bâtiment est vu par tous, il doit être perceptible selon deux échelles, celle du piéton et celle de l’habitant qui l’aperçoit depuis sa fenêtre. Il devait faire lien, agir comme un repère et susciter des regards.” Ainsi les voisins ont vue sur le toit en inox miroitant qui reflète le ciel, sur une terrasse plantée de sedum, de la verdure suspendue. En plus de gaulettes de châtaigner, venues de Charente, d’autres végétaux, un palmier, un pin ont été inoculés sur ce site. “L’habillage en bois de châtaigner, dit encore Rollet, répond à ma réflexion sur l’apport de la nature en ville, la végétalisation à tout crin n’est pas une fin en soi. Mon propos est aussi d’aller au bout d’une réflexion pour dessiner la limite entre l’espace public et l’espace privé, a fortiori sur un territoire qui a été aussi malmené, où aucun détail ne doit être négligé.”
Bruno Rollet (né en 1961) incite à ne pas négliger les petites échelles invisibles de l’architecture, celles qui améliorent la vie quotidienne des habitants, cette somme d’interventions qui, petit à petit, réparent les erreurs urbaines concentrationnaires du passé. On avait déjà remarqué sa démarche dans le quartier Balzac de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Avec le Candide, son bâtiment manifeste, un immeuble de logements sociaux enveloppé dans une corbeille en osier tressé, avec sur son toit un potager collectif.
Sans utopie, mais avec la ténacité d’un rebâtisseur du collectif, sans dogme, mais dans l’urgence de bâtir “autrement pour habiter autrement”, Rollet se pose la question de transmettre sa pratique. Son agence, une petite équipe très féminine d’à peine dix personnes, a eu la bonne idée de lancer un journal : J*/N°1. Où, avec la complicité de la journaliste Michèle Leloup, il présente ses projets et recherches. Pas uniquement de la communication, un premier pas vers le débat, l’échange. Y sont décrits une contribution au mal logement, menée avec l’Action Tank Entreprise & Pauvreté ; des logements avec une pièce en plus, à Bordeaux, quartier du Lac ; et deux maisons connectées à Bezannes, près de Reims. Où habiteraient seniors, étudiants aidants, et famille avec enfants. Une vision évolutive pour s’adapter aux différentes étapes de la vie sans les séparer. En n’oubliant pas, comme l’écrit Michèle Leloup, tout ce qu’il y a autour de l’habitat. “Les ombres portées par le soleil, les odeurs de frondaisons, le sifflement du vent dans les feuillus, les vues et les perspectives.”
Anne-Marie Fèvre
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