“L’Amérique de…” : une chronique éphémère sur des Américain.e.s qui font ou ont fait l’histoire des États-Unis. Cette semaine, l’Amérique de Bruce Springsteen.
Le 6 décembre 2009, Bruce Springsteen reçoit le prix du Kennedy Center, qui récompense chaque année des artistes pour leur œuvre. Assis entre Mel Brooks, également honoré ce soir-là, et Michelle Obama, il écoute, ému et parfois embarrassé, les hommages et les reprises de ses chansons qui se succèdent. Il rit aux éclats avec l’auditoire lorsque le comique Jon Stewart réécrit l’histoire de ses origines : “Je crois que Bob Dylan et James Brown eurent un enfant et qu’ils abandonnèrent cet enfant – comme vous vous en doutez, les relations interraciales entre personnes du même sexe étant ce qu’elles étaient à l’époque – ils abandonnèrent cet enfant sur le bord de la route, entre les échangeurs 8A et 9 sur l’autoroute du New Jersey. Cet enfant, c’est Bruce Springsteen.”
L’Amérique de Bruce Springsteen, c’est celle des origines, le sujet principal de son autobiographie sortie le 26 septembre (1). C’est l’Irlande du côté de son père, l’Italie du côté de sa mère. C’est le foyer de son enfance, celui de ses grands-parents – “Il m’a détruit et il m’a construit”, écrit-il. C’est le catholicisme : l’église du quartier où il accomplit ses tâches d’enfant de chœur avec maladresse ; les châtiments corporels de l’école où il est élève ; l’empreinte de la religion sur sa vie et sa musique, “les images saintes des enfants” de The Rising.
L’Amérique de Bruce Springsteen, c’est, dit-il, le blues pour les couplets et le gospel pour les refrains de ses chansons. C’est sa première émotion musicale lorsqu’il voit Elvis Presley, “ce tremblement de terre humain”, pour la première fois à la télévision – il a sept ans. Plus tard, ce sont les Beatles. “Twist and Shout” est la première chanson qu’il chante en public. C’est le concert, la performance, qu’il décrit comme “un premier baiser” chaque soir. Ce sont ses débuts dans les soirées dansantes de la région, où le succès se mesure au nombre de filles qui dansent et où on n’hésite pas à cracher sur les musiciens quand on n’est pas satisfait, les concerts au Stone Pony à Asbury Park.
L’Amérique de Bruce Springsteen, c’est le père, l’un des personnages centraux de ses chansons – “Il m’aimait, mais il ne me supportait pas”. Ils ont tous les deux été élevés par la même femme. Bruce Springsteen reconnaît qu’il a souvent été injuste avec son père dans ses chansons, même si celui-ci lui avoue à la fin de sa vie que ses préférées sont celles qui parlent de lui. C’est la maladie mentale chez les hommes de sa famille. C’est la dépression de Bruce Springsteen, qu’il décrit dans son autobiographie comme “un train de marchandises fou”. C’est aussi sa mère, qui lui achète sa première guitare.
L’Amérique de Bruce Springsteen, c’est Born to Run, son premier succès, qui lui a donné le titre de son autobiographie. Quand on lui demande quelles sont ses cinq chansons préférées, c’est celle qui lui vient à l’esprit en premier. C’est le New Jersey, ses quartiers populaires d’un côté, ses rues bordées de belles demeures de l’autre, ses routes. C’est le lieu d’“un rêve américain en fuite”, ce “piège mortel” dont les personnages de Born to Run veulent s’échapper, mais où il revient habiter dans les années 1980, après avoir vécu pendant quelques années en Californie.
Hélène Quanquin
L’Amérique de…
(1) Bruce Springsteen, Born to run, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Albin Michel, 2016.
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