À dix ans d’intervalle, en 1982 et 1992, Gilles Walusinski s’est rendu à Brest pour honorer deux commandes du ministère de l’Équipement. Deux travaux documentaires, l’un dans le cadre d’une campagne de réhabilitation de logements insalubres, l’autre autour du thème Le port et la ville.
Le quotidien des « nouveaux pauvres » tels qu’on nommait en 1982 ceux que la société laissait en marge, pouvait se vivre dans ce qu’on nommait cités de transit. Des logements très modestes, d’un confort sommaire, offraient des solutions qu’on souhaitait temporaires à ceux qui en bénéficiaient.
La première série de photos que nous avons publiées pouvait donner une idée du paysage brestois, de la présence un peu oppressante de l’industrie de l’armement, l’Arsenal coupant la cité en deux territoires, la Penfeld étant comme un fiord creusé entre les deux collines de la ville. S’agissant d’un travail de commande, s’agissant d’en prévoir la publication en un petit livre, nous avions travaillé de concert avec la directrice du PACT du Finistère, Dominique Chrismann, et le jeune travailleur social, Sylvain Legrand. Il fallait écrire le texte, décrire l’état de pauvreté d’une grande partie de la population, du chômage qui était déjà une importante préoccupation locale.
Dans le texte ce qui sera le livre Quotidiens pluriels, nous constations alors qu’il y avait deux millions de pauvres en France en 1982.
Les difficultés économiques aidant, l’exclusion sociale devient un phénomène quotidien pour les plus fragiles et les plus démunis. Exclusion des circuits économiques et du monde culturel du plus grand nombre. Exclusion d’une société de compétition qui fonde encore la reconnaissance et l’utilité sur le travail…
… Carences multiples : manque de qualification, irrégularités, fragilités, infirmités, hérédités, maladie ; survivre se conjugue au négatif lorsque le système social met depuis l’école sur le compte de la paresse ou de l’inintelligence des échecs qu’on pourrait tout aussi bien mettre sur le compte de l’histoire. Lever les hypothèques culturelles et économiques. La reconnaissance n’est pas un vain mot.
Ces lignes résonnent aujourd’hui assez fort pour qu’on puisse attribuer à ce travail à Brest son caractère politique et le revisiter maintenant aiguise les comparaisons avec des situations présentes.
Nous avons défini plusieurs thèmes qui devaient guider le travail de reportage. D’abord choisir un quartier et son « centre social », le quartier dans lequel Sylvain Legrand travaillait principalement. Ce fut Pontanezen, un quartier au nord-est de la ville. Pendant mes temps libres, j’arpentais aussi l’autre rive de la Penfeld, dans le quartier ancien de Pontaniou. C’est là que j’entrai dans un petit café fréquenté par des personnes très modestes vivant dans ces rues épargnées par les bombardements – 185 bombardements entre 1940 et 1944. La Bretagne était encore trop souvent citée comme grande consommatrice de gros qui tache et de Kro, pourtant le bistro représente bien un lien social essentiel.
C’est aussi en arpentant les petites rues des quartiers est de la ville que j’ai découvert un lavoir municipal dont l’architecture en béton armé trahissait l’époque de la reconstruction. Les lavandières étaient toutes originaires de l’immigration portugaise. Et je pensais, comme dans la chanson de Luis Mariano, Les lavandières du Portugal, « tant qu’il y aura du linge à laver, des hommes on pourra s’en passer »…
Notre plan de travail se construisait autour des constats que nous faisions des contraintes, des imprégnations culturelles pesant sur la vie des délaissés de la société. Nous avons décidé d’aller dans les banlieues de Brest, d’aller voir un match de foot de l’équipe locale, alors en Ligue 1, d’accompagner une partie de la population à un pardon au Folgoët, à quelques bornes de Brest. Ainsi se dessinent les prochains chapitres dans délibéré.
Brest 1982
La ville, les pauvres, le port (2)
© Gilles Walusinski
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