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[Disparition] Paul Higlotte, traducteur
| 23 Mai 2023

On apprend hui avec tristesse (kun malgajo) le décès de Paul Higlotte, lundi 22 mai, des suites d’une longue traduction.

Né le 1er avril 1940 à Villedieu-les-Poêles, il passe son enfance à Vire (Calvados), où ses parents s’installent après la libération pour y ouvrir une charcuterie. En 1950, la famille quitte bocage et andouilles pour la capitale.

Garçon intelligent, mais peu doué pour les études, il se retrouve très vite – après son certificat d’études – apprenti dans la boucherie paternelle, située au cœur du Marais, avant de rejoindre la corporation des forts des Halles et de coiffer le coltin. Doté d’une robuste constitution – rappelons que les candidats devaient passer une épreuve consistant à porter sur 60 mètres une charge de 200 kg composée de pavés des rues de Paris! – il devient le plus jeune de la corporation. Surnommé malicieusement par ses pairs “l’andouille de Vire”, il n’en est pas moins, dès 16 ans, fort comme un bœuf!

C’est dans ce milieu qu’il apprend le louchébem, sans se douter que cette maîtrise allait le conduire un jour dans une tout autre direction.

En effet, en mars 69, le marché des Halles est transféré à Rungis et la corporation ne survivra pas longtemps à ce transfert. 
L’année précédente, pendant les fameux événements de mai 68, auxquels il participe activement, il rencontre des étudiants avec qui il sympathise. Ces derniers sont fascinés à la fois par sa carrure prodigieuse lui permettant “de jeter au-delà (!) des forces de l’ordre les plus lourds pavés et de construire tout seul une barricade”, mais aussi par sa vive intelligence, sa connaissance de l’argot et d’une manière plus générale du largonji.

Ils lui conseillent de reprendre des études. Le jeune homme – il n’a pas encore trente ans – suit leur conseil. En quelques mois, à la stupéfaction de ses professeurs, il apprend plusieurs langues avant de se spécialiser véritablement dans tous leurs procédés de déformation.

Plus curieusement, il commence très vite à traduire et à publier de nombreux textes du français au largomuche, au louchébem ou encore au javanais. Dans le milieu de l’édition, on le traite de locdu. Il s’obstine néanmoins, au point de se retrouver financièrement à loilpé.

Il se tourne alors vers des formes de langages plus universels, s’intéresse aux langues véhiculaires et en vient tout naturellement à l’espéranto. Il a cherché toute sa vie à endiguer le déclin de cette langue et à en relancer l’usage.

Ces dernières années, il travaillait aussi avec acharnement à la réhabilitation du volapük, afin de ramener les hommes de bonne volonté (les femmes le sont toutes. NDLR) à cette langue construite par le prêtre allemand Johann Martin Schleyer à la suite d’une illumination. Dieu aurait en effet commandé à ce dernier de créer une langue auxiliaire internationale (comme s’Il n’était pas capable d’en créer une Lui-même. NDLR), dont nous rappellerons la devise: Menadé ba Püki bal! (Pour une seule humanité, une seule langue!)*

C’est au moment même où Paul Higlotte achevait la traduction de La recherche du temps perdu en volapük – curieusement à partir de sa traduction en espéranto: Sercante perditante tempon – qu’il a été victime d’une crise cardiaque (koratako)!

“Li ripozu en paco.”

*Et le corse, et le breton, qu’est-ce que vous en faites ? NDLR

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