et puis il est d’usage de faire l’éloge des défunts. D’ailleurs les sites web de pompes funèbres proposent presque tous une page de conseils pour la rédaction de ces oraisons mortuaires, fournissent des modèles ou des listes de citations célèbres, vous savez, « ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue »… « entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège »… « le mal que font les hommes leur survit, le bien est souvent enseveli avec leurs os »… Je vous fais grâce des anthologies poétiques. Bref, on y lit d’abord qu’il convient d’adapter la longueur de son discours à la durée programmée de la cérémonie des funérailles, d’en informer au préalable la famille et de se préparer à, je cite, « gérer l’émotion au moment de la lecture ». Ces recommandations ne me sont pas nécessaires : j’aime la concision et mes sentiments ne menacent d’aucun débordement. Quant au mort, Marc était mon frère, c’est toujours mon frère, mais mort, le mort est donc mon frère mort et moi qui me tiens devant vous, son frère vivant. La mort n’abolit pas les liens. Puis les conseils portent sur le contenu de l’éloge qui pourra évoquer la biographie du défunt, les événements marquants de sa vie, ses centres d’intérêt, les circonstances de sa mort etc… Notre père, à la fin de sa vie, disait de mon frère, je le cite, « ses deux plus grandes qualités sont d’une part sa connaissance impeccable des règles d’accord du participe passé, et d’autre part son talent pour charger au mieux, au plus efficace, au plus économique, le lave-vaisselle ». Je prends à témoin ceux parmi vous qui se souviennent que Marc se faisait un grand plaisir à démontrer à quiconque pensait avoir rempli la machine de vaisselle sale et s’apprêtait à la mettre en route, qu’en réorganisant les trois étages on pouvait encore y loger un repas pour deux, ou trois. Quant aux circonstances de sa mort, elles s’étendent sur l’ensemble de sa vie comme pour, me semble-t-il, chacun de nous. « Of course all life, écrivait Fiztgerald, is a process of breaking down. » Cette citation-là ne figure, je vous l’assure, sur aucun site de pompes funèbres. J’ai terminé, non, j’oubliais ! Les conseils à un panégyriste funéraire préconisent d’agrémenter le discours d’une ou deux anecdotes sur le défunt et par-là, affirment certains, de le rendre un peu à la vie. Il reste de la place pour de la vaisselle.
Citations
| 21 Août 2023
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mais sans soute avais-je pensé impensable qu’on privât une femme de son prénom, le seul mot qui ne fût pas amarré à la bite d’un homme, son père ou son mari…
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et je me souviens très bien de ses paroles, ce jour-là, où il a parlé de son projet de livre. C’est resté un projet. On entendait par le conduit de cheminée les voisins crier. Ça je n’en veux plus ! On ne comprenait pas tout.
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