La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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D’épitaphes

et bien sûr les cimetières seraient des restes de vastes romans dont un auteur insatisfait et coléreux aurait rayé et effacé les péripéties, ou des débuts, si l’on préfère, qu’un écrivain aquoiboniste aurait laissés à l’abandon, mais où, quoi qu’il en soit, le lecteur qui s’y promènerait et y tournerait les pages de pierre ne trouverait que le nom des personnages, des dates, un peu plus parfois, l’amorce d’une histoire, la trace d’un lien, la possibilité d’un paysage ou d’une voix, dont il pourrait faire, avec cette liberté souveraine qui est la sienne, bien sûr, ce qu’il lui plairait

par Frédéric Teillard

Sous la peau

Sous la peau

Sa boîte à musique jouait une version métallique et aigrelette de Hey Jude tandis qu’une aube grise semblait attendre aux fenêtres d’entrer dans le salon où j’écrivais dans ce qu’il restait de nuit. On ouvrait la boîte et une petite ballerine vêtue de bleu se dépliait...

Moloch

Moloch

ils montèrent à califourchon, nus, tout au bout des canons, les parties génitales pendant devant l’o noir de la gueule, les poings sur les hanches ou les mains dans le dos serrant le fût, le menton haut, l’air crâne et l’on tira simultanément les obus qui partirent...

Pour Hamm

Pour Hamm

j’ai survécu alors, soutenu par une force plus grande ou plus constante que l’envie d’en finir, celle-ci retenue d’ailleurs, ou plutôt barrée par l’ignorance de comment finir, comment finir proprement, sans trop d’éclaboussures ni sur le pavé ni sur les passants de ma...

Lecture

Lecture

mais sans soute avais-je pensé impensable qu’on privât une femme de son prénom, le seul mot qui ne fût pas amarré à la bite d’un homme, son père ou son mari…

Saint Léger

Saint Léger

et je me souviens très bien de ses paroles, ce jour-là, où il a parlé de son projet de livre. C’est resté un projet. On entendait par le conduit de cheminée les voisins crier. Ça je n’en veux plus ! On ne comprenait pas tout.

Fragments de l’oeil

Fragments de l’oeil

et lorsqu’il rouvrit les yeux, il reconnut son gros Rembrandt, peintre dont il admirait les autoportraits dans lesquels il lui avait toujours semblé se voir lui-même. Et plus vivement encore à l’âge qu’il avait atteint, 63 ans, le même que celui de la National...

Aller simple

Aller simple

alors au seuil de la vieillesse c’est bien des coups que m’a portés mon père lorsque j’étais enfant et du regard absent de ma mère qui pensait que son mari savait comment on éduque un garçon, que je suis mort : je me suis effondré lentement, comme au ralenti, l’air...

Regrets éternels

Regrets éternels

et vous aviez quelque chose de drôle, d’animé, de vivant, qui me faisait me sentir grave, raide et froid à côté de vous et, quand je vous voyais discuter devant la porte de la résidence avec un voisin, m’arrêter et vous regarder comme aurait fait un assoiffé une...

Citations

Citations

et puis il est d’usage de faire l’éloge des défunts. D’ailleurs les sites web de pompes funèbres proposent presque tous une page de conseils pour la rédaction de ces oraisons mortuaires, fournissent des modèles ou des listes de citations célèbres, vous savez, « ce je...

Au temps

Au temps

J’ai à peine regardé la mer. Je me souviens que hier, sous le ciel clair de midi, elle était presque bleue, et pleine je crois. Dans d’autres circonstances, je me serais baigné, trempé plutôt car elle ne devait guère dépasser les dix degrés. Quand je suis sorti de...

L’épilogue

L’épilogue

« Maintenant je vais dormir », disait-il chaque soir à celle d’entre nous qui quittait la dernière sa chambre. Mais ces quatre mots étaient adressés aux autres aussi, celles qui, après l’avoir embrassé, étaient retournées à l’occupation qu’elles avaient suspendue pour...

Diminuendo

Diminuendo

lorsqu’il mourut, l’écriture n’était alors plus pour lui qu’une des petites tâches matinales, ordinaires, quotidiennes, utiles ou seulement habituelles, de celles qu’on n’arrive pas à négliger sans s’en faire quelque reproche, et qu’on enchaîne les unes aux autres...

P.I.B. R.I.P.

P.I.B. R.I.P.

Et en ce temps-là, dont même les plus anciens parmi vous ne peuvent se souvenir, l’indicateur principal de la croissance était encore le P.I.B., produit intérieur brut. Or c’était un instrument de mesure non seulement désuet mais responsable d’une course aux...

Trahir

Trahir

et le 17 novembre 1925, pensant peut-être par-là attirer sur son fils nouveau-né la gloire dont il avait rêvé pour lui-même, Thomas Shelley, hôtelier londonien enrichi, convainquit sa jeune épouse, Ann Godwin, de donner à l’enfant les mêmes prénoms que le fameux poète Shelley, Percy Bysshe.

Dernière période

Dernière période

En peu de jours les passantes et les passants rentrèrent le cou dans les épaules, perdant quelques centimètres et de la visibilité sur l’avenir. On se prit bientôt à douter que ce qu’on projetait au-delà de quelques pas de soi pût réellement advenir, le froid resserra son emprise, et la peur.

A room without a view

A room without a view

Et ce soir-là, quelques heures durant, quatre, cinq, je ne leur donnai pas de nouvelles. Aussi, lorsque je les appelai quatre, cinq heures plus tard, au sortir du cinéma, pour leur dire que les rues de la ville qui grouillaient de touristes quatre, cinq heures plus tôt, étaient désertes

Bords de mère

Bords de mère

mais je rêvai cette nuit-là que je descendais le flanc d’une montagne, hors de tout sentier, le long de la frontière entre la France et l’Allemagne que matérialisait le long fil de soie d’une araignée qui le tissait à mesure que j’avançais, et pour ce faire passait...

Les ongles de Picasso

Les ongles de Picasso

« Tu as seize ans, me dit-il. Figure-toi que c’est l’âge qu’avait Duguay-Trouin lorsqu’il participa à son premier combat naval. Il raconte dans ses Mémoires comment, au moment où il s’élance de son vaisseau sur le navire ennemi qu’il aborde, il voit son maître...

Sans épitaphe

Sans épitaphe

Le soir, au couchant, la mer, en se retirant et en découvrant des rochers et des grèves immergés à marée haute lorsque j’avais débarqué, substitua comme en un tour de magie colossal l’unité de la terre, sa continuité à celles de l’eau que ne rompaient, quelques heures...

Pierre mot

Pierre mot

La mer beaucoup plus agitée. Bat la digue et la rampe qui plonge vers la plage. Les baigneurs prudents pour se mettre à l’eau ou en sortir. Peur qu’une lame ou le ressac. Les renverse. Les roule. Les jette contre la pierre. Des flâneurs appuyés au garde-corps....

La manoeuvre de Heimlich

La manoeuvre de Heimlich

puis j’ai déjeuné d’un café et de mes deux mochis fourrés à l’anko du 15 août. Le couple franco-japonais du marché me les a vendus samedi avec ce sourire embarrassé. Je leur ai dit pourtant il y a trois ans que ce n’était pas leur faute. Mais bon, la culpabilité, je...

Aux demeurants

Aux demeurants

 aucune sépulture ici n’en dépasse une autre, comme si le code de l’art funéraire qui régit l’organisation du cimetière était inspiré de la double horizontalité de la mer, d’un  côté, que sillonnent les cargos vers l’embouchure de l’Escaut, et de la terre, de l’autre,...

Lexique

Lexique

et face à la maison, de l’autre côté de la route, s’étendait un vaste cimetière qui remplaça, pour ma promenade matinale, les ruelles de mon ancien quartier.

Concession à précarité

Concession à précarité

et c’est seulement plusieurs semaines après qu’on l’eut enterré précipitamment (sans cérémonie ni pierre tombale car, entre autres moyens imaginés pour freiner la pandémie, le gouvernement avait interdit les rassemblements et contraint les marbriers funéraires à la...

Disparaître

Disparaître

La chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours dresse sa silhouette sombre, longiligne et pointue au sommet de la falaise du Pollet qui domine Dieppe, surplombe le port et la mer.

Vegan

Vegan

et on supposa qu’ils honoraient leurs morts par des plaques ou des inscriptions commémoratives aux murs, aux arbres, aux pierres, posées ou gravées là où, peut-être, était survenu le décès, comme il arrive qu’on accroche un bouquet et une image au carrefour où est...

Les Commensaux

Les Commensaux

au cimetière, je prenais quelques photos de la tombe de maman pour les envoyer à Ulysse et à Noé, quand un type m’est tombé dessus: "Vous faites quoi là? Vous faites quoi? Vous prenez des photos à ma belle-mère? J’ai bien vu, j’ai bien vu, pourquoi que vous prenez des...

Osiris

Osiris

et l’année de sa mort, je l’ai connu. Il habitait une petite maison au-dessus des rails de chemin de fer qui mènent en banlieue ouest ou au-delà, en Normandie. Les trains qui passaient sur les voies les plus proches agitaient les assiettes et les tasses dans le...

Érato

Érato

par un jeu de mots qu’elle savait qu’on trouverait facile et peut-être même de mauvais goût, indigne en somme d’une poétesse, mais qui exprimait selon elle parfaitement, c’est-à-dire dans une forme imagée, précise et économique comme un proverbe, un dicton, une épitaphe, la manière singulière dont elle s’abandonnait à l’inspiration, elle disait…

Sans nom

Sans nom

ce que je dis d’où je le dis je le dis d’où je gis, de sous la terre du fond du trou du ventre de mère, de sous le marbre de mère de sous sa pierre où je n’ai pas de nom pas de corps pas de peau, je le dis du ventre de mère où depuis le début je gis, de ces neuf...

Sans date

Sans date

et la veille de sa mort — dont on ne sut bien sûr que le jour de sa mort que ça avait été la veille de sa mort —, malgré l’état de grande faiblesse où il se trouvait depuis plusieurs semaines, il quitta son lit, monta — nul n’aurait imaginé qu’il en aurait la force —...

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Le photographe Marc Martin et Mathis Chevalier, son modèle, jouent avec les représentations du nu masculin, de la statuaire antique à la peinture en passant par le cinéma ou la publicité. Des images belles et joyeuses, exposées à la Galerie Obsession à Paris.