j’ai survécu alors, soutenu par une force plus grande ou plus constante que l’envie d’en finir, celle-ci retenue d’ailleurs, ou plutôt barrée par l’ignorance de comment finir, comment finir proprement, sans trop d’éclaboussures ni sur le pavé ni sur les passants de ma vie — le plus propre, bien sûr, mais il était trop tard, ayant été de n’avoir jamais commencé —,
alors entre lourdeur insupportable et intenable légèreté, déclarations de naissance et épitaphes, j’ai survécu avec ténacité, rédigé des lettres d’adieu, d’excuses, d’explications, de rupture et d’amour que je n’envoyais pas, j’ai appris des choses nouvelles, l’italien, la fermentation lactique, l’histoire de la représentation des organes génitaux dans l’art, qu’en quelques semaines j’oubliais, comme j’oubliais les livres et les films qu’il m’arrivait de lire ou de regarder,
j’ai survécu ainsi entre les extrêmes, les grands malheurs, peinant à me réjouir qu’ils me soient épargnés, souhaitant plutôt qu’ils me frappent et que j’en rie bruyamment, me détestant, au fond, de patauger dans la flaque saumâtre de l’ennui d’être né et de m’y contenter qu’on me considère avec un mélange de fascination, de crainte et de répulsion devant l’ombre inépuisable que je portais sur les choses ,
j’ai survécu âprement, comme un reptile, plein d’amertume devant l’opération où la somme des petits bénéfices à vivre l’emportait de peu sur celle des hautes contrariétés, j’ai survécu jusqu’à la fin dont je ne peux dire que ceci, qu’elle a commencé dès le début
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