alors ma première pensée complètement formulée, pas un début, un bout, un brouillon, une ébauche, non, une pensée dont l’aboutissement me donnait une certaine satisfaction, une forme de jubilation même alors que par son contenu elle portait plutôt à la tristesse, ma première pensée a été que Pierre Le Cordier, dans l’épitaphe qu’il avait très probablement rédigée pour sa femme, morte cinq ans avant lui et dont il n’avait pas jugé utile d’indiquer le prénom (à ma lecture de la première ligne, j’ai cru que c’était Hamel, même si l’usage typographique veut que sauf l’initiale on écrive, on grave en l’occurrence, le prénom en minuscules, mais sans soute avais-je pensé impensable qu’on privât une femme de son prénom, le seul mot qui ne fût pas amarré à la bite d’un homme, son père ou son mari), avait omis, volontairement ou par étourderie, parmi les louanges qu’il faisait d’elle, Mme Le Cordier Pierre née Hamel, à savoir qu’elle avait un corps (qui reposait là et dont il avait sans doute joui), qu’elle avait bien servi son mari, nourri, élevé, lavé ses enfants, que le ciel l’avait ravie, qu’elle ne suscitait ni amour, ni envie, ni admiration, ni reconnaissance, mais simplement et modestement de la tendresse, qu’elle avait fait le bonheur de sa famille et su, jusqu’à un âge avancé (soixante-six ans), ne pas jouir en paix des douceurs de la vie, c’est-à-dire renoncé à son bonheur propre ou ne l’avoir fait dépendre que de celui d’autrui, il avait omis (j’allais écrire hommis), donc, en conscience ou aveuglément, de penser ou en tout cas d’écrire et de faire graver qu’elle était douée pour mourir