La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Trop de chants pour un cantique
| 28 Sep 2015

Abou Lagraa, chorégraphe dont le style s’est forgé à l’étude de la danse classique, contemporaine et hip hop, a toujours voulu faire bien, trop bien. C’est le cas avec sa récente création à la Maison de la danse de Lyon où il est artiste associé en 2015 avant de regagner sa ville natale, Annonay en Ardèche (lire plus bas les dernières péripéties de son “installation” dans cette ville). En s’attaquant au Cantique des Cantiques, il a vu grand. Même Maurice Béjart ne se coltina pas le texte frontalement, rodant autour de lui et le citant en extraits dans Messe pour le Temps Présent. Devant l’immensité vertigineuse de ce texte, comme écrit sous l’effet de drogues dures, le chorégraphe a jugé bon de s’adjoindre le metteur en scène Mikaël Serre. Ce n’était pas la peine. On ne juge pas de la qualité de la mise en scène et on ne remet nullement en question la valeur de la traduction lumineuse d’Olivier Cadiot et Michel Berder mais, de toute évidence, la danse n’avait pas besoin d’appui théâtral, comme c’est souvent le caxs lorsque les chorégraphes abordent des textes. Tout le poème tient dans la danse et la musique d’Olivier Innocenti. Pour sûr, le propos est clair qui dénonce, par la voix de deux comédiennes, par des projections du texte et d’images, par la lecture finale de la Déclaration des droits de l’homme, les barbaries engendrées par les extrémismes et fanatismes religieux, mais on ressort lessivé de ce spectacle qui ne peut s’empêcher de mettre trop de points sur les i. La démarche est courageuse de vouloir mettre en scène les tue-l’amour, la haine, la violence et les exclusions. Elle est même louable. Mais pourquoi le dire à l’envi ? La danse est assez explicite et porte en elle-même toutes les ambiguïtés du texte : les élans amoureux contredits, les blessures, le désir brûlant, la sensualité voluptueuse, la sexualité duelle, le plaisir sans fin de non recevoir… “Il faut libérer l’amour”, dit en substance une danse ample, avide d’espace, ondulante, rageuse. Hormis une scène de viol collectif bien en-dessous de la réalité, le double mouvement d’attirance et de répulsion entre deux êtres d’un couple est constamment présent. Comme la solitude douloureuse si bien interprétée par Ludovic Collora (le double d’Abou Lagraa qui ici ne danse pas). “Ne réveillez pas le mot amour”, est-il écrit. Sage conseil que personne ne suit. D’où des débordements, des convulsions, des crises, des ivresses, des folies, des déchirements. Ce que l’amour souffre, la danse le porte. Cela aurait suffi à notre entendement d’humain si peu aimant, d’autant que les danseurs enchantent. Prochaines représentations le 16 octobre au Théâtre Jean Vilar à Suresnes, en novembre à Bonlieu/Annecy

Marie-Christine Vernay

Abou Lagraa, Le cantique des cantiques, Maison de la danse de Lyon © Dan Aucante

Abou Lagraa, Le cantique des cantiques, Maison de la danse de Lyon © Dan Aucante

 
S’installer dans sa ville

Abou Lagraa est né en décembre 1970 à Annonay, en Ardèche, de père et de mère algériens. Le chorégraphe français, qui a étudié la danse au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, après bien des aventures chorégraphiques en Algérie pour établir un “pont culturel méditerranéen” franco-algérien, en France où il crée pour sa compagnie La Baraka depuis 2001 et pour d’autres troupes, comme celle de la Hochschule de Francfort ou pour le Ballet de l’Opéra de Paris, doit intégrer début 2017 la chapelle Sainte-Marie en cours de restauration. Le maire de la Ville et député de l’Ardèche, Olivier Dussopt, a en effet souhaité mettre à disposition de la compagnie La Baraka cette ancienne chapelle désacralisée. Voilà qui n’a pas plu à Isabelle François, conseillère municipale FN d’Annonay. S’adressant au maire, la conseillère en appelle aux “fidèles” :  “Je voudrais dire à M. Dussopt que s’il souhaite rénover le patrimoine religieux historique de France, les églises de notre ville, régulièrement utilisées par les fidèles, ont grand besoin d’être restaurées. Je voudrais dire enfin à M. Dussopt que notre ville est déjà suffisamment pourvue en associations culturelles coûteuses de propagande et qu’il est temps de se mettre au travail pour le bien de notre ville.” Jean-Jack Queyranne, le président socialiste de la région Rhône-Alpes, a immédiatement réagi  : “En s’opposant de façon véhémente, et en des termes scandaleux, au projet d’implantation de la compagnie La Baraka à Annonay, le Front National montre une nouvelle fois son profond mépris pour la culture et les artistes .” Avant de déplorer  : “ Porter un jugement d’ordre moral sur les créations d’Abou Lagraa est inacceptable. Je suis très attaché à la liberté de création et nous devons défendre la présence des artistes sur l’ensemble du territoire. La Région est fière, aux côtés de la ville d’Annonay, du département de l’Ardèche et de l’État, d’accompagner cette installation. ” Quant à la Française François, elle a sans doute oublié d’aller voir Le Cantique des Cantiques.

Marie-Christine Vernay
Danse

 

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