Le genre idéal est noir. Comme un polar, un thriller, une enquête judiciaire ou un roman naturaliste. Et c’est de l’humain, de la tragédie grecque, du meurtre, en série, passionnel, accidentel, d’État, ordinaire parfois.
Si vous représentiez un consortium pétrolier prêt à investir des milliards dans un pays, vous vous intéresseriez de près à son gouvernement. Et si celui-ci ne vous plaisait pas, vous feriez en sorte de le faire changer. Ne serait-ce que pour vivre riche, ou ne pas mourir trop vite. Aujourd’hui, les puissants délèguent localement ce genre de missions. Pour le gaz ou pour l’eau demain.
Bien sûr, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, près de soixante dix années de savoir-faire ont permis d’affiner les techniques. L’Irak de Bush et les éclairs dans le ciel. La Libye de Sarkozy pour une chasse à l’homme. L’Iran, ce nouveau Satan, après le détour de Trump chez les Saoud d’Arabie comme on va à la gamelle.
Mais le mieux est encore lorsque cela ne se voit pas. De l’art du coup d’État comme une nécessité. Porté à sa perfection, il n’en a même plus le nom. Plus magnifique encore, il devient permanent et s’épargne les grandes mises en scène. Comme si la fin annoncée du cynisme était son apogée même. Mieux, il contraint ceux qui ne le souhaitent pas à en être les pions. Un jeune médecin formé à Paris, natif d’un pays de la Caraïbe subitement dans le collimateur des intérêts mondiaux, va en faire les frais, pour être fils d’un leader assassiné une douzaine d’années plus tôt. Les dynasties existent aussi hors des royaumes et tant pis pour les rejetons qui ne veulent plus de la couronne. Services secrets français, Américains, oligarchie, diaspora. Tout le monde lui tourne autour puis lui tombe dessus. Ne voulez-vous pas savoir qui a tué votre père ? La vipère dans l’ombre ? L’ami ? Ne voulez-vous pas vous venger ou aider à poursuivre le combat ? Avoir, le moment venu, un petit ministère à défaut du fauteuil ? Que ce père n’ait été qu’un opportuniste inconsistant qui n’aurait pas mieux servi son peuple que les militaires ou qu’une oligarchie civile n’y change rien. Le fils sera la caution de la nouvelle équipe. Inattaquable.
« … les difficultés de mon pays […] plongent leurs racines dans l’Histoire et ne peuvent être résolues par l’image, si brillante soit-elle, qu’offre un gouvernement, ni par des opportunistes inconsistants aux programmes de réformes simplistes. »
Ce médecin décidément… Il pourrait être un nouveau roi docile dans des habits de guerrier et feint de ne pas le comprendre ; un président que la population adorerait sans qu’il puisse décevoir, porté par la croissance. Qui, aujourd’hui, irait descendre Justin Trudeau ou Emmanuel Macron, garants des intérêts dominants, de l’unité nationale et fierté des populations rassurées ? Qui irait remettre en cause un statu quo validé par les urnes ?
Encore faut-il jouer le jeu. Être sensible aux ors ou aux pressions. Craindre de perdre nationalité, travail et liberté de mouvement. Manœuvrer pour sauver sa peau tout en gardant sa dignité… Vaste programme pour une histoire qui, si elle se passe dans les années 70, a d’étranges échos et renseigne merveilleusement sur les subtilités de la force. Éric Ambler, injustement méconnu, est un autre John Le Carré et son Docteur Frigo reçut en son temps le Grand Prix de littérature policière. Soulever un coin de la couverture et faire la connaissance d’El Lobo, du Père Bartolomé ou du commandant Delvert, ne peut pas faire du mal. Avant le roman Or noir de Dominique Manotti, c’est une autre approche tout aussi clinique et humaine et donc fascinante, des mécanismes et des intelligences qui régulent le capitalisme moderne.
Lionel Besnier
Le genre idéal
Docteur Frigo de Éric Ambler, traduit de l’anglais par Éric Diacon, Rivages/Noir.
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