Située sur la place du Parlement à Bordeaux, La Machine à lire est une librairie indépendante depuis 1979.Elle est aussi depuis deux ans partenaire de délibéré. Dans ses salles voûtées qui viennent de se refaire une beauté, cette librairie centrale accorde une place importante aux maisons d’éditions indépendantes. Nous avons interrogé sa propriétaire, Hélène des Ligneris sur l’intérêt qu’elle porte aux productions des éditeurs et éditrices indés.
« Pour moi, il est essentiel de suivre les maisons d’éditions indépendantes. À La Machine à lire, ça fait partie totalement de nos ventes, de nos propositions et de nos conseils. Il y a des éditeurs très importants comme Verdier qu’il ne serait pas pensable de ne pas avoir, mais pas seulement. Les indépendants apportent de la diversité, la possibilité d’aller vers autre chose que les grosses productions. Ce sont des découvreurs de talents. Par exemple, j’ai lu dernièrement un livre de La Fosse aux ours, que l’éditeur m’a proposé en pensant que ça pouvait m’intéresser : il me paraît très important de l’avoir à la librairie. J’en ai commandé dix et on va le défendre.
Un jour, Marie Hélène Lafon a lu un de ses textes à Bordeaux, qui est édité par la Guêpine, une petite maison à Loches. J’ai contacté l’éditeur qui publie des textes formidables, et depuis nous proposons ses livres. Une cliente a édité un livre bilingue en occitan. Il a fallu aller chercher le livre dans la maison d’édition que nous ne connaissions pas, travailler avec, qu’elle accepte des remises. À Bordeaux il y a de nombreuses maisons d’édition indépendantes, certaines que l’on suit, entre autres : L’Arbre vengeur, L’Ire des marges. Évidemment, nous faisons particulièrement attention aux éditeurs locaux mais c’est toujours dans la même exigence de qualité, parce que nous ne pouvons pas tout prendre. Notre superficie ne nous le permet pas. Il y a des titres que nous vendons sans avoir besoin de les soutenir parce que les médias le font pour nous et il faut des livres pour tous les publics.
Nous faisons des démarches vers les maisons d’édition indépendantes. Ça prend beaucoup de temps et d’énergie, ça peut coûter un peu d’argent. Nous prenons des risques. Quand un client commande un livre qui nous coûte plus cher de port, par exemple. Quelquefois on a des surprises, les ports sont très élevés. Les maisons indépendantes de très petite taille font des remises peu importantes, nous pouvons le faire parce qu’on travaille aussi avec de grosses maisons avec lesquelles les remises sont plus importantes, l’un équilibre l’autre, ça diversifie l’offre littéraire, c’est essentiel.
Nous mettons notre confiance dans la qualité des livres, on la connaît vite. Il faut aussi que ça corresponde à notre public. La clientèle d’une librairie se fait en vingt ans et se défait en cinq minutes. C’est de l’humour, mais… ça se fait sur l’accueil, sur l’écoute, sur le choix. Notre clientèle aime bien qu’on lui propose des choses hors des sentiers battus et ça, c’est souvent des maisons indépendantes. C’est le travail du libraire qui fait la différence.
Dès que vous entrez dans une librairie indépendante, vous savez sa tendance. Je ne parle plus de tendance politique: le fondateur de La Machine à lire était très marqué politiquement. Aujourd’hui nous sommes plus dans un ancrage d’engagement sociétal, écologique, nous avons un rayon féminisme très développé. Ça ne veut rien dire sur nous sinon que nous considérons tous ensemble qu’il est intéressant de défendre ces thématiques. La clientèle se construit comme ça, pas à pas, l’essentiel c’est l’accueil avec une base de choix et d’engagement. On sait maintenant, parce que j’ai accepté d’en parler, que je vais régulièrement en prison avec les auteurs, que nous avons embauché un jeune autiste, il y a une dimension sociale à La Machine à lire qui parle plus à certains qu’à d’autres. Mais je ne crois pas qu’il faille être trop engagés non plus, il faut laisser la place au libre choix de la personne, on ne doit pas lui imposer mais lui suggérer.
Nous organisons des rencontres deux fois par semaines avec des auteurs ou des autrices que nous choisissons. Le public apprécie, il aime rencontrer les auteurs. À cette occasion nous travaillons avec des relations libraires. C’est bien de tisser des liens avec eux, parce qu’ils nous connaissent et nous conseillent. C’est un plus. Qu’est-ce qui fait que nous, libraires, on va lire un livre plutôt qu’un autre ? L’auteur, bien sûr. Mais aussi quelqu’un qui l’a lu, les réseaux sociaux, l’éditeur qui conseille et envoie un exemplaire, le relation libraire qui fait de même. Nous sommes noyés sous les livres, le grand problème est la surproduction. C’est dramatique. On ne peut pas tout prendre, tout lire, tout défendre, pour nous, libraires indépendants, c’est une catastrophe. Il ne faut pas mettre ça sur le dos des éditeurs indépendants. Les très grandes maisons sortent trente ou quarante livres par an ! Je fais confiance, j’ai fait de belles découvertes par ce biais là, par le bouche à oreille, les réseaux, j’ai découvert chez Elyzad, Que sur toi se lamente le tigre, je l’ai lu parce que quelqu’un m’a dit que c’était formidable. Plus il y a de gens qui peuvent nous éclairer sur les choix à faire en fonction de qui on est, mieux c’est. C’est dans ma nature d’être quelqu’un de curieux. Il faut être à l’écoute de ce qui se passe. »
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