“Elle achète un congélateur et trouve un cadavre dedans.” (AFP)
Une Américaine de Caroline du nord rachète un congélateur à sa voisine qui s’apprête à déménager. Quelques jours plus tard, l’acheteuse ouvre l’appareil et découvre qu’il contient un cadavre, celui de la mère de la voisine. Ce sont des choses qui arrivent : tant de gens préfèrent, pour des raisons qui leur appartiennent, congeler leurs proches plutôt que de les envoyer au cimetière. Toutefois il est rarissime que le frigo ainsi garni soit revendu. La vendeuse avait-elle oublié qu’elle y avait fourré sa mère ? Souhaitait-elle s’en débarrasser sur le marché de l’occasion ?
En lisant le titre de la dépêche, je me suis pris à rêver qu’il s’agissait d’un congélateur neuf, tout juste livré par un grand magasin d’électroménager. L’affaire eût été autrement intéressante car alors il aurait été possible de tracer un parallèle avec le magnifique plan séquence qu’Alfred Hitchcock souhaitait glisser dans La Mort aux trousses, ainsi qu’il l’a confié à François Truffaut : “Avez-vous déjà vu une chaîne d’assemblage ? C’est fantastique ! Je voulais filmer une longue scène de dialogue entre Cary Grant et un contremaître de l’usine devant une chaîne d’assemblage. Ils marchent en parlant d’un troisième homme qui a peut-être un rapport avec l’usine. Derrière eux, la voiture commence à s’ajuster pièce par pièce, et on fait même le plein d’huile et d’essence ; à la fin de leur dialogue, ils regardent la voiture complètement ajustée à partir de rien, d’un simple boulon, et ils disent : ‘C’est quand même formidable, hein !’. Et alors, ils ouvrent la portière de la voiture et un cadavre en tombe.”
Une scène équivalente aurait pu être tournée dans une usine d’assemblage de congélateurs. À la fin, Cary Grant aurait ouvert l’appareil et découvert le cadavre de sa mère ou de sa femme. D’intéressantes variations pourraient être obtenues avec une chaîne de montage de machines à laver ou de mobilier de bureau. Quoi qu’il en soit, le matériel neuf est toujours plus intéressant que le matériel d’occasion pour ce genre d’effet. Quoi de plus affligeant qu’un cadavre tombant d’un vieux placard ? Et quoi de plus stimulant que le même cadavre surgissant d’un appareil encore sous garantie ?
L’électroménager, en particulier l’électroménager dit “blanc” (frigo, lave-linge, etc.), est un des symboles les plus triomphants du marché. Produit par des robots immaculés, acheminé de Singapour sur des portes-containers qui jamais ne dévient de leur route, livré dans des langes de plastique irréprochables, il arrive chez nous tout empreint de la fraîcheur d’un nouveau-né. Et voilà qu’un cadavre en tombe ! C’est le ver immonde dans le fruit pur de la concurrence libre et non faussée. C’est le grain de sable dans la marche implacable des échanges internationaux. C’est la mort dans la jeunesse éternelle (obsolescence programmée mise à part). Quelque chose de cet ordre agitait peut-être le subconscient d’Hitchcock lorsqu’il s’est mis à rêver de ce singulier plan-séquence.
Cependant notre monde n’est pas aussi pur que celui qu’a théorisé Adam Smith. Dans l’univers des produits d’occasion, la main invisible du marché tremble un peu, ce n’est pas celle d’un prestidigitateur mais d’un criminel médiocre. La mort aux trousses, c’est la condition humaine.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
La Mort aux trousses (North by Northwest) d’Alfred Hitchcock comme critique du marché :
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