Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
En février 2016, la première ordonnance littéraire publiée par la revue délibéré était destinée à Nadine Morano. Ce n’étaient là que les tout débuts de la médecine littéraire, qui, depuis, a fait des progrès considérables. Les traitements ont évolué, les méthodes également. Aujourd’hui, en ce début d’année 2018, le service de médecine littéraire rouvre ses portes après quelques mois d’inactivité, et force est de constater que le cas de celle qui a été notre première patiente est loin d’être réglé. Il faut dire que notre choix de départ était ambitieux, très ambitieux, l’affaire fréquemment présentée comme désespérée.
Un sujet difficile, en effet. Dans un sondage récent, Nadine Morano a été donnée comme la personnalité la plus détestée des Français. L’an dernier, elle a été a été définitivement déboutée de ses poursuites contre Guy Bedos qui l’avait qualifiée en 2013 de « conne », de « salope », et de « connasse » : Morano y voyait de l’injure mais, visiblement, la justice, elle, a estimé que, bon, non, on ne pouvait pas vraiment considérer tout cela comme injurieux. Dont acte [3].
Morano, c’est du lourd, de l’épais, du sérieux. N’empêche, nous n’avons pas vocation à ne soigner que les petits bobos, la médecine de confort n’est pas forcément à dénigrer mais les pathologies lourdes exigent toute notre attention. Nous avons donc décidé de reprendre le cas de cette patiente bien connue de nos lecteurs.
Il y a quelques jours, l’actuelle députée européenne a déclaré qu’elle soutenait les femmes signataires de la tribune « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » publiée dans Le Monde (9 janvier 2018). Et elle l’a fait avec ses mots à elle, n’est-ce pas, avec son style à elle, et ça donne ça, au micro des Grandes Gueules de RMC : « J’ai eu droit à des agressions. Pas jusqu’au niveau où il faudrait aller déposer plainte puisque j’ai remis la personne à sa place mais j’ai été, oui, opportunée [sic] mais opportunée [resic] d’une manière telle que, à un moment, ça peut aussi engendrer des belles histoires ».
Oh Nadine !!!!!!!
Nadine qui « opportune » la langue française comme elle « opportune » le débat public, à longueur de mois et d’années, inlassablement et avec toujours la même énergie.
Et qui prend la parole en tant que femme sur la question des femmes.
Et peut-être est-ce là ce qu’il faudrait traiter en priorité dans ce cas complexe parce que polypathologique, avant même de s’attaquer à ses dérapages récurrents, notamment sur la question des réfugiés ou de la « race blanche », comme nous l’avions fait lors de notre première prise en charge.
Car, commençons par le début, Nadine est une femme. Si, si. Et déjà, là, il y a, sans aucun doute, problème. Celle qui récemment déclarait « Si Macron était une femme, ce serait une sirène qui attire ses proies vers le fond » manque de finesse – osons le terme – dans sa perception de l’identité féminine et, plus globalement, des rapports hommes/femmes. Il lui faudrait là-dessus réfléchir un peu, lire, c’est certain. Mais par quoi commencer ? Les essais passionnants ne manquent pas sur le thème mais le remède risquerait de passer largement au-dessus du crâne blond de celle à qui il est destiné. Il faut à Nadine une réflexion incarnée, un récit qu’elle puisse à la fois situer dans un temps proche du sien et visualiser, il lui faut en somme un ouvrage nourri d’un témoignage, qu’elle puisse quasiment toucher du doigt celle dont émanera le texte qui lui sera proposé.
Il se trouve que vient de sortir, en ce début d’année, un roman qui pourrait bien répondre à ces exigences. Éparse, de Lisa Balavoine (éditions Jean-Claude Lattès) est écrit par une femme un peu plus jeune que Nadine, c’est vrai, mais l’ouvrage met en scène une vie de femme, aujourd’hui, en France, un vie de femme plutôt banale, au fond, un peu bancale comme toutes les vies, un peu perdue, un peu battante, un peu fatiguée, un peu drôle : éparse, en un mot.
L’entrée en matière, déjà, ouvre cet autoportrait de bien belle manière :
« Enfant, je n’avais pas envisagé de devenir une personne normale. »
Celle qui se raconte ici a cependant grandi, est même devenue adulte, rien d’anormal, au fond. Elle offre un portrait fragmenté (« Je suis une fille particulièrement décousue »), des textes courts qui se succèdent, puzzle joliment rythmé par une bande originale des années 80 et 90. « Il serait question d’aimer, il serait question de raconter […] Des histoires de rien, parce que le beaucoup ce n’est pas mon fort, parce que le plein je le connais mal, parce que je ne connais que le bancal, le boiteux, le casse-gueule, le branlant. »
Être une femme, avoir quarante ans, des enfants, des histoires d’amour passées, regretter les années folles qui jamais plus ne reviendront (« Elles sont passées les années fastes, les années insouciantes, les années folles. Elles sont passées sans qu’on prenne le temps de les regarder. Elles nous ont escortés un temps et puis se sont fait la malle, en souriant, les garces »), en garder envers et malgré tout l’envie de, la curiosité, parce qu’il reste encore tant de choses à faire, tant de morceaux de musique à écouter, tant de livres à dévorer, tant de verres de vin à partager : « Nous n’avons plus vingt ans. Nous faisons le bilan. Nous sommes encore vivants. »
Voilà.
Que Nadine lise déjà ce beau roman, qu’elle suivre l’itinéraire zigzagant d’une femme d’aujourd’hui, avec ses doutes, ses blessures et ses joies. Que peu à peu se lézarde le bloc de certitude qu’elle possède sur ce que sont les femmes, et donc ce que sont les hommes, ce que peuvent être leurs rapports. Ce ne sera que la première étape d’un traitement qui, nous le savons d’ores et déjà, sera long et fastidieux, mais on connaît l’importance des débuts.
Et soyez-en sûrs : on continuera, on s’acharnera, on mènera les cas les plus enkystés vers la guérison, on ne lâche rien.
On reprend la médecine littéraire.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
[1] Le journal Nordpresse, bien connu des lecteurs du Gorafi et autres périodiques de référence, nous informe que même son grand-père voit en Nadine Morano « une conne ».
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