“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Entre un pays et son championnat se tissent de curieux liens. À l’heure où l’on annonce à Calais la construction d’un mur, qu’en Essonne un futur refuge pour migrants est incendié et qu’un ancien président de la République s’attaque au regroupement familial, la Ligue 1 prend le contrepied de l’atmosphère ambiante en accueillant au mercato estival tous les joueurs dont les championnats étrangers ne veulent pas. Pour combien de temps ?
Il n’y a guère plus qu’au football que la France fait honneur à sa tradition d’accueil. Cette saison, ils ont été nombreux à en profiter : Mario Balotelli à Nice (un but en Serie A la saison dernière avec l’AC Milan, un autre en Premier League avec Liverpool la précédente) ; Radamel Falcao de retour à Monaco (titulaire une seule fois avec Chelsea la saison dernière, quatre buts avec Manchester United la précédente) ; Jérémy Ménez à Bordeaux (après une saison ratée à l’AC Milan pour cause de blessure) ; Bafetimbi Gomis à Marseille (six et sept buts avec Swansea en Premier League, ses deux pires saisons depuis dix ans) ; Milan Bisevac à Metz (qui a résilié son contrat après onze petits matchs joués avec la Lazio) ; Ola Toivonen à Toulouse (après une saison blanche à Sunderland en championnat et plusieurs matchs avec la réserve) ; Mevlut Erding à Metz (onze matchs avec Hanovre, aucun but)…
En langage footballistique, c’est ce qu’on appelle “se relancer”. Hôpital des carrières brisées, refuge des joueurs en rupture de contrat, sanatorium des footballeurs en fin de carrière, la Ligue 1 s’en est fait une spécialité. On vient jouer en France comme on allait jadis en Suisse se refaire une santé. Mais le bon air n’y est pour rien, pas plus que la vocation humaniste du pays des Droits de l’homme : ici comme ailleurs, c’est l’économie qui dicte sa loi. Or, une fois n’est pas coutume, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets : la crise qui frappe la France encourage à la fermeture les frontières, à la remise en question du droit du sol et à la surenchère nationaliste ; alors que celle qui touche les clubs français amène au contraire les présidents à chercher à l’étranger des solutions bon marché. Avec une constante néanmoins : ni les migrants ni les footballeurs ne viennent chez nous par choix, ni de gaité de cœur (à peine 80 000 demandes d’asile l’année dernière contre près d’un million en Allemagne). La France est une étape obligée vers l’Eldorado anglais, le rêve de Premier League : les hauts salaires, les stades pleins, le beau jeu. En attendant, il faut bien vivre…
Mais gare que le transit ne se transforme pas en voie de garage. Après s’être relancé à l’Olympique de Marseille, Lassana Diarra n’a pas trouvé preneur cet été. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, tant l’ancien joueur du Real Madrid a tout tenté pour fuir à l’étranger après son année de probation. Mais le Paradis et le Purgatoire ne communiquent pas si facilement. Voie sans issue ! Droit dans le mur…
D’autant qu’on apprend que la Ligue de football professionnel prévoirait de mettre en place des quotas de joueurs formés au club. Quel vilain mot, “quota”, et tellement à la mode… Retour de la préférence nationale ? On allèguera que les joueurs formés dans nos clubs ne sont pas tous français, mais on sait aussi qu’ils se voient accuser de trahison s’ils choisissent finalement de défendre les couleurs d’une autre sélection (on se souvient de la polémique Sofiane Feghouli la saison dernière). Cette fois, des causes différentes produisent le même effet : alors qu’en Angleterre on se plaint que les nombreux étrangers qu’attire la richissime Premier League affaiblissent l’équipe nationale, en France c’est la pauvreté de nos clubs qui conduit à sanctuariser notre formation. Comme quoi, quand il s’agit d’étrangers, personne n’est jamais content…
France, terre d’asile : le football s’accroche comme il peut à ses mythes, mais la réalité le rattrape : “on ne peut pas accueillir toute la misère footballistique du monde…”. Face au manque d’attractivité de notre championnat, les mêmes vieilles solutions sont remises au goût du jour. L’arrêt Bosman a fait long feu, on veut détricoter l’Europe dans le football aussi. Après le “mangez français”, voici venu le temps du “jouez français” ?
Sébastien Rutés
Footbologies
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