
lorsqu’il mourut, l’écriture n’était alors plus pour lui qu’une des petites tâches matinales, ordinaires, quotidiennes, utiles ou seulement habituelles, de celles qu’on n’arrive pas à négliger sans s’en faire quelque reproche, et qu’on enchaîne les unes aux autres dans un ordre aussi immuable que la cuisine, le repas, la vaisselle; plus un devoir qu’un plaisir, en tout cas jamais la fièvre, l’emportement qu’il avait connu jadis et qui produisait de longs poèmes dont il arrivait qu’on lui reprochât l’emphase lyrique ou de gros romans âpres et sentimentaux, non, des textes brefs, cinq ou six lignes, parfois moins, dont il disait avec un rictus moqueur et douloureux singeant la fierté: j’ai fait ma petite crotte, ou encore: j’ai une nouvelle version de mon épitaphe; il n’en donnait pas lecture, on ne savait s’il plaisantait mais, le lendemain de sa mort — Camille, qu’il appelait ma femme de ménage qui est aussi un homme, le découvrit allongé sur son lit, vêtu de son costume gris anthracite dont la solennité contrastait avec ses pieds nus, les mains jointes ceintes d’un chapelet dont il avait remplacé le crucifix par un petit squelette ithyphallique, sur sa table de chevet une bougie de neuvaine allumée, une assiette de chocolats et un verre de Porto tawny — on trouva sur sa table de travail une chemise cartonnée marquée du mot épitaphes: elle contenait une quinzaine de feuillets manuscrits, recto verso, portant 238 épitaphes numérotées entre lesquelles se distinguaient, cerclés d’un large trait rouge, les six mots de la 152ème: ci-gît de moins en moins.
0 commentaires