Chefs-d’œuvre retrouvés de la littérature érotique : chaque semaine, Edouard Launet révèle et analyse un inédit grivois ou licencieux, voire obscène, surgi de la plume d’un grand écrivain.
Blanche-Neige et les sept nains nourrit les cauchemars des enfants depuis 1937, année de la sortie du film d’animation de Disney, tout autant qu’il régale les psychanalystes qui en font mille interprétations cocasses : Oedipe d’une petite fille, apprentissage de la sexualité, etc. Il est vrai que cette histoire de jeune vierge et de nains (a priori) asexués ouvre presque à chaque minute des gouffres symboliques, en dépit des tonnes de sucre que les scénaristes et animateurs de Disney ont déversées sur le conte des frères Grimm.
Jacob et Wilhelm Grimm ont eux-mêmes beaucoup édulcoré la légende à partir de laquelle ils ont écrit leur texte, publié en 1812, ainsi que vient de le révéler le philologue allemand Ernst Dömsplatt [1]. Ce dernier a en effet établi de manière formelle que derrière Blanche-Neige se cache Margaretha von Waldeck, la fille d’un comte de Hesse qui mourut empoisonnée à l’arsenic le 13 mars 1554, à l’âge de 21 ans. Sa famille exploitait des mines de fer où travaillaient des enfants sous-alimentés, qui devinrent dans le conte les fameux nains. Margaretha en aurait fréquenté certains.
La scène où les petits mineurs rentrant du boulot (Heigh-ho, heigh-ho !) trouvent dans leur maison la jeune fille endormie permet d’analyser les distorsions successives de l’histoire et son ensevelissement progressif sous les bons sentiments. Procédons à rebours. Chez Disney, l’adorable princesse s’est assoupie en s’allongeant sur trois petits lits mis côte à côte. Lorsque les nains la découvrent, ils sont d’abord effrayés et se cachent. Puis ils se redressent lentement et l’on voit surgir un à un leurs gros nez rouges, pour ne pas dire turgescents. « Enchantée, messieurs », salue la jeune fille. « Enchantée de quoi ? », répond un des gnomes.
Chez les frères Grimm, Blanche-Neige essaye les lits tour à tour, « mais l’un était trop long, l’autre trop petit, et enfin il n’y eut que le septième qui fût à sa taille ; elle y resta donc, fit sa prière et s’endormit ». Les nains arrivent et sentent d’emblée comme un changement.
Le premier vit que son lit était un peu affaissé.
– Qui s’est couché dans mon lit ? dit-il.
Et les autres d’accourir et dire :
– Dans le mien aussi, il y a eu quelqu’un.
Mais le septième, en regardant son lit, aperçut Blanche-Neige qui y était couchée et dormait. Il appela ses frères, qui se hâtèrent de venir et se récrièrent d’étonnement et chacun fut chercher sa lampe pour mieux contempler Blanche-Neige.
– Ah ! mon Dieu, ah ! mon Dieu, répétaient les nains, que cette enfant est belle !
Ils étaient ravis de l’admirer et se gardèrent bien de l’éveiller ; le septième nain dormit une heure dans le lit de chacun de ses compagnons jusqu’au point du jour.
Les Grimm se cantonnent donc à cet ambigu « Ils étaient ravis de l’admirer et se gardèrent bien de l’éveiller », qui ouvre des pistes raides et escarpées.
L’histoire originelle maintenant, laquelle réduit considérablement le champ de l’interprétation. Selon les documents exhumés par Ernst Dömsplatt, la jeune fille s’évanouit en voyant entrer les gamins noirs de crasse et décharnés, leur pioche à la main. Les petits mineurs reconnaissent immédiatement la fille du comte Von Waldeck, leur employeur et bourreau. Ils décident de la garder prisonnière et d’en faire leur esclave. Mais où la loger dans leur minuscule chaumière ? La solution, évidente : elle partagera la couche de chacun des garçons, à tour de rôle. C’est ce qu’en termes contemporains on appellerait une tournante. Une des sources de Dömsplatt livre ces détails sordides :
Les nuits de Margaretha devinrent un enfer. Les journées n’étaient guère plus plaisantes ; parfois, rentrant de la mine pleins de haine, les garçons trouvaient la jeune fille en train de récurer le sol, alors ils se ruaient sur elle avec des yeux fous. Margaretha n’avait d’autre choix que de s’offrir et de souffrir tout en continuant à brosser le carrelage. Jusqu’au jour où elle se résigna à avaler deux cuillers de mort-aux-rats pour mettre un terme à son calvaire. Les gamins la retrouvèrent en train de vomir, ce qui, plutôt que de susciter leur compassion, redoubla leur ardeur. La jeune fille mourut agitée de spasmes, dont tous n’étaient pas dus à la terrible intoxication.
Voilà qui est loin du conte pour enfants, mais sans doute plus proche de la réalité historique. Si les Grimm n’étaient pas passés par là, la maison Disney se serait retrouvée avec sur les bras un scénario digne de Blanche-Fesse et les sept mains, le délicieux film pornographique de Michel Caputo. Les enfants auraient nourri leurs cauchemars avec d’autres images, et les psychanalystes n’auraient pas eu grand-chose à ajouter.
Édouard Launet
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