Regardez-le, ce garçon : élégant, à l’avant-garde de la mode, androgyne avec sa fine moustache et sa frange épaisse, il détonne, il séduit. C’est le Japonais Foujita, descendant de samouraïs, à ce qu’on dit, figure de l’École de Paris – au même titre que Pacsin, Picasso, Modigliani ou Soutine.
Un peintre japonais à Paris, ce n’est pas commun en ce début du XXe siècle. D’ailleurs, en homme d’image résolument moderne, Foujita aime se mettre en scène en photos, en autoportraits. À coup sûr, il serait aujourd’hui tout en selfies sur Instagram. C’est lui autant que ses toiles que le musée Maillol à Paris expose jusqu’au 15 juillet, à l’occasion des cinquante ans de sa disparition. Un artiste pluriel, voyageur francophile, dont le talent autant que la personnalité s’épanouissent au contact des Années folles parisiennes.
« Le Japonais qui aime Rousseau »
L’histoire peut commencer en 1913. Tsuguharu Foujita a dû négocier avec son père, général de l’armée impériale du Japon, pour pouvoir quitter la terre natale et venir exercer son art à Paris. À 27 ans, il poursuit son étude de la peinture entamée aux beaux-arts de Tokyo, copiant inlassablement les œuvres du Louvre, se familiarisant avec l’art occidental. Introduit dans le tout Montparnasse, il fréquente Picasso, chez qui il découvre l’œuvre du Douanier Rousseau. Il en apprécie la simplicité et le talent pour la couleur. Foujita devient ainsi« le Japonais qui aime Rousseau » – une base intéressante pour qui souhaite conquérir le monde de l’art.
Ceinture noire de ju jitsu
C’est une femme qui lui permet de passer le pas. Fernande Barrey, modèle de Soutine, l’encourage, le présente. Différentes muses tiendront des rôles-clé dans la vie du peintre, mais à celle-ci revient l’exclusivité de franchir le seuil de la mairie au bras de son époux, à peine treize jours après leur rencontre.
À Montparnasse, ce sont de folles soirées de fêtes, de discussions enflammées. Foujita est partout, jusque dans les bagarres –« Modigliani se battait tout le temps,explique-t-il dans un entretien de 1953. C’est moi qui le séparais, je suis deuxième degré de ceinture noire de ju jitsu. »
Blancs laiteux, fragiles et sensuels
Sa première exposition, en 1917 à la galerie Chéron, a secoué le microcosme artistique parisien. Foujita est désormais connu et reconnu. Et quand il quitte son atelier, il a le souci de montrer sa personne sous des angles choisis. Pour avoir travaillé chez un couturier à Londres, il pratique avec dextérité le mélange des matières, des motifs. Il devient bientôt cette silhouette si identifiable avec sa lourde frange et ses lunettes rondes, ses guêtres et sa démarche maniérée – quasi-personnage de bande dessinée – qu’on voit également sur la Côte d’Azur ou à Deauville.
Ce que l’on voit moins, ce sont les heures consacrées à la peinture – une quinzaine quotidienne, dit-on. Portraitiste fameux, Foujita développe en parallèle des thèmes qui lui resteront chers – les chats, les natures mortes, les enfants.
Mais Fernande a besoin de compagnie, elle le délaisse bientôt, et il fait la connaissance de Lucie Badoud, qu’il surnomme « Youki » – neige rose, en japonais, en référence à sa peau qu’il va peindre encore et encore, déclinant des blancs laiteux, fragiles et sensuels. Le nu, Foujita en rêvait. Au Japon, on ne peint pas la nudité. Les corps s’offrent sous les pinceaux de Foujita presque pudiques dans leur immaculée innocence, sensuels pourtant grâce aux contrastes qui s’opèrent avec ici un regard trouble du sujet, là une dense toison.
C’est au tour de Youki de tomber amoureuse d’un autre – Robert Desnos. Le peintre, le poète et la muse vont tenter l’expérience d’une vie à trois avant que Foujita cède la place en 1931.
Tokyo, Montmartre, Reims…
Commence alors une longue période de voyage. Avec Madeleine, son nouveau modèle, Foujita s’installe en Amérique Latine, puis au Japon – où la jeune femme décédera brutalement. Il y a une guerre, l’obligation de servir la propagande nippone. De retour « définitivement » à Paris en 1950, il s’installe à Montmartre avec Kimiyo Horiuchi, sa nouvelle épouse. Les folles années ont passé et nombre des amis du peintre aussi. Foujita ne s’habille plus en femme pour sortir et amuser ses amis. Le cheveu blanc, il a pourtant gardé tout son panache. Il n’y a qu’à voir les images de son baptême très people en la cathédrale de Reims en 1959 – il a alors 73 ans.
De nationalité française depuis 1955, celui qui se fait désormais appeler Léonard, en référence au maître qui commis La Joconde, va tranquillement abandonner le goût de se montrer. Établi à Villiers-le-Bâcle, dans la vallée de Chevreuse, il se consacre désormais à son épouse, à sa maison. À près de 80 ans, il s’attelle aux plans d’une chapelle qui sera construite à Reims et sur les murs de laquelle il exécutera quelque 200 m² de fresque d’inspiration occidentale mais d’une minutie toute japonaise.
Également photographe, couturier, peintre des enfants qu’il n’a pas eus, Foujita est à voir au musée Maillol au gré d’une centaine d’œuvres variées, avec un focus sur la première période parisienne du peintre (1913-1931) : celle de ses Années folles où, dandy, l’artiste préférerait« offrir [sa] tête plutôt que des fleurs ». Sous-titrant malicieusement : « Garde ma tête, au moins elle ne fane pas ! ».
Stéphanie Estournet
Arts plastiques
« Foujita, peindre dans les Années folles », jusqu’au 15 juillet. Musée Maillol, 61 rue de Grenelle, 75007 Paris.
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