D’une série, on connaît souvent les acteurs et les créateurs, plus rarement les réalisateurs (ce ne sont pas forcément les mêmes à chaque épisode), et jamais le directeur artistique. Or cette dernière fonction est primordiale. L’esthétique d’une série ne se résume pas aux décors et aux costumes, c’est une question d’atmosphère globale, chose impalpable mais essentielle qui impressionne la rétine à chaque plan et donne à l’œuvre sa personnalité singulière. Certes, toutes les séries ne se donnent pas la peine de chiader le dossier, mais celles qui s’y attellent sérieusement, via une collaboration étroite entre le showrunner, le directeur de la photo et le directeur artistique (alias le production designer outre-Atlantique), peuvent produire des résultats spectaculaires.
Prenez Taboo, formidable mini-série de la BBC (diffusée sur Canal+ Séries en 2017). Nous sommes dans le Londres glauque du début du XIXè siècle où un homme porté disparu en Afrique depuis des années revient régler quelques comptes. L’action est à la fois violente et onirique, les lumières inquiétantes, les tronches toutes difformes ou ensanglantées. Sans cesse le sordide côtoie le sophistiqué : on est simultanément dans le Londres pré-industriel et dans un univers de fantasy. Allez donc trouver une homogénéité visuelle avec une telle équation. Eh bien Taboo y parvient, au point que le principal souvenir que l’on garde de cette série est son esthétique cousue sur mesure autour de la trame narrative. Ici la production designer s’appelle Sonja Klaus, et l’équipe responsable de l’esthétique (maquillage, décors, etc) compte plus d’une centaine de personnes.
Si les séries historiques sont d’intéressants terrains de jeu pour les directeurs artistiques (Peaky Blinders, Babylon Berlin Downton Abbey et son spin-off The Gilded Age sont d’autres exemples de belles directions artistiques), les séries d’anticipation leur réclament de l’imagination, surtout lorsqu’il faut opposer des univers très tranchés. Dans WestWorld (HBO, 2016-aujourd’hui), le monde du western d’une part et celui de la science-fiction de l’autre. C’est Nathan Crowley qui s’en est chargé pour la première saison.
Dans Severance (Apple TV+, 2022) s’opposent un monde du travail déshumanisé, dystopique, et la vie quotidienne. Ici, c’est Jeremy Hindle qui est à la manœuvre. Il n’a pas caché qu’il s’était largement inspiré de l’esthétique de Playtime, de Jacques Tati, ainsi que des films des frères Cohen.
The Haunting of Hill House (Netflix, 2018) alterne des scènes dans une maison hantée de la côte Est dans les années 90 et d’autres dans le Los Angeles contemporain (voir les épisodes précédents). C’est le production designer Patricio Farrell qui s’est coltiné le boulot, avec un succès certain.
Ultime exemple, la série coréenne Pachinko (Apple TV+, 2022) qui fait des allers-retours entre le Japon contemporain et la Corée du début du XXè siècle. L’écriture visuelle est signée Mara LePere-Schloop
D’une excellente direction artistique ne naît pas toujours une excellente série. Considérez Ratched, conçue comme un prequel de Vol au-dessus d’un nid de coucou en s’intéressant à la vie de l’infirmière Ratched avant que celle-ci ne fasse des misères à Jack Nicholson dans le film de Milos Forman. L’image aux couleurs tranchées est somptueuse, parfois kaléidoscopique, mais si prégnante que l’on a l’impression d’évoluer dans un univers de papier glacé. La faute sans doute à un défaut d’écriture en amont, pas au niveau de l’écriture visuelle en tout cas.
On peut faire sensiblement le même reproche à Halston, série Netflix (2021) sur le créateur de mode du même nom, biopic estimable mais pas scotchant. Les robes sont pas mal.
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