La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés
Débile profond
Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
Les insultes et injures font l’objet d’un nombre croissant de travaux de recherche car, d’une part, nul domaine ne saurait échapper à la science et, d’autre part, ces études sont extrêmement opportunes par les temps qui courent : on se balance tant de noms d’oiseaux sur Internet comme dans les assemblées parlementaires et les cours d’école qu’il vaut mieux savoir à quoi l’on a affaire.
Des chercheurs canadiens préviennent : « Si l’insulte ressortit à la catégorie lexicale des axiologiques négatifs, elle est aussi et certainement avant tout un acte social porteur de conséquences ». Traduisons : traiter quelqu’un de « gros connard » peut vous coûter une fracture du maxillaire inférieur. Cependant, si vous entretenez avec l’intéressé des relations très amicales, voire complices, celui-ci pourra interpréter le terme de « gros connard » comme une interpellation joyeuse. Auquel cas cet homme sera susceptible de vous répondre : « Pas mal et toi, vieux pédé ? ».
Qu’est-ce que la science a à nous dire sur un sujet aussi délicat ? Eh bien qu’en matière d’insultes le contexte compte autant voire plus que la sémantique. Ou, pour être tout à fait précis, que la caractérisation des axiologiques péjoratifs n’est pas simple, principalement parce qu’ils ne s’inscrivent pas toujours dans la structure séquentielle attendue des paires appellatifs péjoratifs-réponses. Ce qui veut dire en gros qu’il y a du boulot pour une palanquée de chercheurs.
Existe-t-il un moyen infaillible de discerner vraies et fausses insultes ? Oui, et c’est simple : non seulement le contexte d’énonciation ne laisse percevoir aucune tension entre les interlocuteurs, mais le récepteur de l’appellatif péjoratif ne réagit ni par une dénégation ni par une remise en cause implicite du droit d’insulter (réaction décrite par Sacks, 1995). Par exemple, le voisin auquel vous venez de lancer « Salut gros connard » ne va pas chercher sa 22 long rifle mais sort une bière du frigo.
Cette analyse du contexte et des réactions — que l’on soit insulté ou insulteur potentiel — devra être effectuée rapidement. En sus, il faudra être capable de la réviser tout aussi rapidement dans le cas d’une réaction tardive du partenaire, dans le cas où ce dernier est un peu long à la détente ou simplement très con, ainsi que vous venez de le lui signifier. L’arrivée d’une bouteille de bière sera un signe positif, pour autant qu’elle ne vous soit pas fracassée sur le crâne.
Rentre chez toi, ta femme t’attend
Prenons un exemple. En avril dernier, Jérôme Rodrigues, l’une des figures des Gilets jaunes, venait d’achever une interview sur BFM TV lorsque le député LREM Jacques Marilossian a réagi à son intervention en le qualifiant de « débile profond ». Cette débilité profonde était-elle à prendre au pied de la lettre ? Était-ce là un clin d’oeil complice ? Voyons le contexte. Rodrigues avait été invité à s’exprimer sur le report des annonces d’Emmanuel Macron en raison de l’incendie de Notre-Dame le 15 avril. Il avait notamment déclaré : « Le monde a l’air de s’arrêter de tourner quand il y a un incendie en France. Je pense que c’était surtout une stratégie gouvernementale pour aller balancer des infos soi-disant par des fuites et retravailler son discours derrière pour toujours mieux nous vendre son programme électoral. » Le député LREM Jacques Marilossian avait alors commenté à son tour : « C’est d’une grande débilité tout ce que je viens d’entendre. Avant, le débile, il racontait ses débilités au café du coin et à 10h du soir, le patron du café lui disait : “Rentre chez toi, ta femme t’attend. ».
Aujourd’hui, ce genre de scènes se produit sur le plateau de BFM TV, qui est l’équivalent contemporain du café du coin, du moins à l’aune des propos qui y sont échangés. Il eût donc été plus opportun pour Jacques Marilossian de dire à Rodrigues : « Rentre chez toi, ta femme t’attend ». Il n’est pas sûr que l’intéressé l’aurait mieux pris, mais la séquence aurait été plus cohérente. Par ailleurs, cette injonction aurait été largement aussi insultante qu’un diagnostic de débilité.
Mais il y avait peut-être mieux à faire pour coller au contexte historique et patrimonial qui sous-tendait cet échange : invoquer l’image de Quasimodo dansant au milieu des flammes.
Fini le petit confort et le grand inconfort du confinement. Retour au monde d’avant, en pire bien entendu. Une sidération durable s’annonce : celle qui va frapper quand nous aurons le nez dans la facture économique et sociale.
Rien ne va plus entre le Président et son Premier ministre. Les nerfs sont à vifs, les enjeux énormes, les responsabilités écrasantes. À preuve, ce violent échange qui a eu lieu la semaine dernière dans le Jardin d’hiver de l’Élysée.
Il y a au moins un événement culturel dont la pandémie n’a pas eu la peau : la Journée Mondiale du Pangolin. Elle se tient chaque année le troisième samedi de février. En 2020, sa neuvième édition est tout juste passée entre les gouttes.
Le chemin qui va du coronavirus à la Shoah est étroit, tortueux et improbable. Pourtant, la pandémie a vite atteint le point Godwin, ce moment où, dans tout débat, les adversaires finissent par s'injurier en se jetant à la figure des allusions à l'Allemagne nazie.
La visite d’Emmanuel Macron chez le professeur Didier Raoult, jeudi dernier à Marseille, s’est extrêmement mal passée. Un témoin a saisi ce bref échange entre les deux hommes à l’arrivée du convoi présidentiel. Le chef de l'État semblait passablement énervé.
Il ne se passe pas une heure sans qu’un policier se fasse traiter d'enculé ou de con, et une infirmière de pute ou de salope par un énervé aux urgences. La pandémie met en lumière la pauvreté consternante de notre répertoire d’injures.
Le rap est certainement le champ artistique le plus réactif à l’actualité. Si ses mélodies sont rarement surprenantes, ses textes ont un caractère printanier qui sied à la saison et aux circonstances. En témoignent ces quelques sorties récentes...
Les insultes traversent moins facilement les océans que les virus. Prenez Joe Biden, bien parti pour être le candidat démocrate aux prochaines présidentielles américaines, qui semble puiser ses insultes dans le cinéma du milieu du siècle dernier.
La planète fait donc face à deux épidémies : celle du virus et celle de la peur. La seconde tue rarement mais fait plus de victimes que la première. On s’en défend comme on peut. Par l’humour éventuellement, mais cela donne pour l’instant des résultats désastreux...
Le débat politique, aux États-Unis comme dans un nombre croissant de pays, s’est mué en un métaphorique numéro de cirque opposant clowns maléfiques et incompétents sans convictions. Le spectacle pourrait être divertissant sauf que ce n’est plus un spectacle.
En France, le réseau Twitter est devenu la première arène politique, loin devant les chambres parlementaires. Des textes de quelques dizaines de signes et des vidéos de quelques dizaines de secondes orientent les débats, font et défont les carrières.
Les températures battent record sur record, un nouveau virus menace la planète, le populisme trumpien prospère, l’Europe part en morceaux, mais depuis quelques jours tout le monde s’en branle : il n’y en a plus que pour l’affaire Griveaux.
La flagornerie est parfois pire que l’insulte. Cela peut même tourner à l’assassinat, comme la journaliste Anna Cabana en a fait une convaincante démonstration il y a quelques jours sur BFM-TV, dans une séquence qui n’a pas fini de réjouir Internet.
Le tennis est une activité idiote pratiquée par des gens en short dont l’unique but est de se débarrasser d’une balle en feutre jaune en tapant dessus comme des sourds, quoi qu’il se passe autour. Parfois, cela peut durer des heures. Et en agacer plus d'un.
Entre les États-Unis et l’Iran, les insultes volaient bien avant les drones et les missiles. L’échange de mots doux remonte à la crise de 1979. Les États-Unis "Grand Satan", comme disait alors l'ayatollah Khomeiny. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump n’a rien arrangé à l’affaire.
L’affaire Matzneff a réveillé un volcan que l’on croyait éteint : les querelles littéraires. Ces dernières ont ceci de particulier qu’on commence par y parler livres avec moult circonlocutions et l’on finit par se jeter la Shoah à la figure.
Le populisme se porte de mieux en mieux, le climat se dégrade, les relations sociales se durcissent, la jeunesse désespère ou s’en fout, tandis que les mots se font de plus en plus violents. Pourquoi se priver ?
Il arrive, lors d’un match de foot ou de rugby, que l’arbitre soit invité par une partie du public à se rendre aux toilettes. Cela signifie généralement qu'une de ses décisions est contestée, mais cela ne dit pas ce que l’intéressé est censé faire aux chiottes.
Les amabilités entre chefs d’État se poursuivent et, il y a quelques jours, c’était au tour du président turc Recep Tayyip Erdogan d’ouvrir le feu, en déclarant que son homologue français Emmanuel Macron était en état de mort cérébrale. Ce dernier n'a pas du tout apprécié...
"Ferme ta gueule !" est une injonction qui est rarement suivie d’effet, ou qui produit l’effet inverse à celui recherché : l’autre se met à gueuler plus fort. Fermer sa gueule est facile tant qu'on ne vous le demande pas. Le général Georgelin aurait dû le savoir...
Fin octobre, plusieurs habitants de l'Orne et de la Sarthe ont reçu chez eux une boîte contenant des excréments. Elle était accompagnée d’une lettre se terminant par cette formule de politesse : “Je vous emmerde cordialement”...
Elle est jeune, c’est une femme, elle nous culpabilise, elle ne veut pas se taire. C’est le prototype même de la chieuse. Greta Thunberg fait chier un nombre considérable de gens. Et en plus, elle a de l'humour.
Il y a un demi-siècle, les Rolling Stones faisaient scandale aux États-Unis. Aujourd’hui c’est Mick Jagger qui s’indigne des nouvelles mœurs américaines et britanniques. La provocation aurait-elle changé de camp ?
De nos jours, les salopes volent en formation serrée. En juin dernier, l’Académie française, à laquelle nulle dérive langagière ne saurait échapper, a même tenu à rappeler l'étymologie du terme, que l'on ne saurait résumer au féminin de salaud...
Voilà une injonction que l’on adresse rarement à son patron, sauf à avoir sa lettre de licenciement en main. À éviter aussi entre conjoints s'il reste un peu d'amour dans le foyer. Mais à lancer sans trop d’appréhension à la face des dirigeants politiques.
Tout a basculé le 23 février 2008. Ce jour-là, un président de la République en exercice — par ailleurs chef des armées, co-prince d'Andorre et chanoine d'honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran — gratifiait un de ses concitoyens d’un "Casse-toi, pauv' con !".
Je t’encule, tu m’encules, nous nous enculons en rond, au point que cela en devient vertigineux. Hier nous avions Racine et Corneille, aujourd’hui nous avons des enculés, des trous du cul et si peu d’alexandrins. Il faut dire que le débat politique est vif.
C'est l'année des fils de pute (et elle est loin d'être terminée). L’an prochain sera-t-il celui des salopes et des enculés ? On peut en douter car les fils de pute ont la peau dure, si bien qu’ils pourraient bien squatter la planète jusqu’au grand effondrement.
En politique l’insulte n’est pas précisément une nouveauté. Ce qui est neuf, c’est son usage croissant (pour ne pas dire sa banalisation) jusqu’au sommet de l’État. Révolue est l’époque où les grands de ce monde avaient la vacherie drôle et feutrée.