“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Le SCO d’Angers, écrasé 5-1 par le Paris-Saint-Germain la semaine dernière, a battu 3-0 Monaco, qui venait d’étriller Toulouse 4-0. Rennes, qui restait sur cinq matchs sans défaite, a perdu 4-0 contre les Girondins de Bordeaux, éliminés 5-1 en demi-finale de la coupe de la Ligue quelques jours plus tôt par Lille, qui venait de s’incliner à domicile 1-3 contre Troyes, le dernier du championnat qui n’avait pas remporté la moindre victoire jusqu’alors.
Il n’est pas de sport moins prévisible que le football. La logique y est moins respectée qu’ailleurs, la supériorité physique ou technique n’est jamais le gage de la victoire, et le talent ne suffit pas. Les raisons en sont nombreuses : jeu moins systémique que d’autres, un seul joueur peut y faire la différence, et la part de l’improvisation y est plus grande ; l’influence des erreurs d’arbitrage aussi, car les points marqués étant rares (en comparaison du basket ou du hand-ball, par exemple), une seule mauvaise interprétation décide souvent du sort d’un match ; et cette rareté fait aussi la part belle aux faits de jeux et aux coups du sort.
“On ne sait jamais”, “on verra bien”, “tout est possible dans le football” psalmodient joueurs et entraîneurs, et ces conjurations destinées à se concilier un destin capricieux s’apparentent à une version profane du “Dieu seul le sait”. Car l’imprévisibilité du football pousse à croire que des facteurs le régissent qui ne sont ni techniques, ni tactiques ni économiques. Elle encourage à la superstition. Alors, on se signe en entrant sur un terrain, on embrasse la pelouse, on remercie le ciel après un but. L’irrationalité des résultats des matchs pousse à imaginer des forces mystiques à l’œuvre, et que les Dieux prennent fait et cause pour une équipe contre une autre. En Afrique, on fait appel aux marabouts, aux gris-gris, aux fétiches. Giovanni Trapattoni versait de l’eau bénite sur le terrain, et Luis Fernandez du sel. Barry Fry aurait uriné aux quatre coins du terrain de Birmingham pour lever une malédiction gitane. Quant à Raymond Domenech, il consultait les astres…
Or, il est une forme de superstition propre à la modernité : le psychologisme. Commentateurs et acteurs du football y recourent immodérément. En l’absence d’explications techniques, et pour ne pas céder aux causes transcendantes, c’est dans les mystères de l’esprit qu’on cherche les réponses à l’énigme des résultats. Telle équipe “est en confiance”, telle autre est “une équipe qui doute”, tel joueur “est sorti de son match”, tel autre a “lâché dans sa tête”. Pour qui l’inconscient humain n’est pas plus pénétrable que les voies du Seigneur, ce sont là les formules magique d’un ésotérisme nouveau, hermétique aux non-initiés sur lesquels il exerce la fascination macabres des vieilles malédictions.
Néanmoins, c’est aux confins de ce royaume obscur que naissent désormais les mythes, comme celui du “choc psychologique” que provoquerait sur les joueurs l’arrivée d’un nouvel entraîneur. Effet de surprise, attrait de la nouveauté, désir de faire bonne impression, les explications ne manquent pas, mais le mythe est empirique : on a constaté ses effets positifs, comme certains ont remarqué les bénéfices d’enfiler toujours la même chaussette en premier, de prendre le même trajet pour se rendre au stade ou de porter un slip porte-bonheur les jours de match.
Ainsi, lorsqu’on a échoué à redresser une équipe par des méthodes rationnelles –évolutions tactiques, changements de discours, primes de résultat ou recrutement de joueurs –, reste le miraculeux “choc psychologique”, cette version actualisée du sacrifice propitiatoire pour des présidents de clubs qui jouent les apprentis sorciers et immolent leur entraîneur pour s’attirer la clémence des Dieux du football. Sept ont déjà joué cette saison les victimes expiatoires : les Dieux vont devoir faire des choix…
Sébastien Rutés
Footbologies
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