“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Dans la préface à son essai Balón dividido, le romancier et chroniqueur mexicain Juan Villoro écrit : “se battre pour un ballon n’est qu’une autre manière d’être unis”.
Un autre Mexicain, Luis Felipe Silva Schurmann, dresse dans El fútbol y la guerra, entre balas y balones, la longue liste des interactions du football dans les affaires internationales, depuis les équipes mussoliniennes jusqu’à la fameuse “guerre du football” rendue célèbre par Ryszard Kapuściński. Avant lui, Eduardo Galeano consacrait un chapitre de El fútbol a sol y sombra au “ballon en guise de drapeau”, et l’anthropologue du sport Simon Kuper traitait des relations de la guerre et du football dans plusieurs ouvrages, dont un centré sur l’Europe de la Deuxième guerre mondiale.
Pour autant, Villoro a raison : s’il est parfois cause de divisions, le football réunit. Qui voyage souvent connaît les questions à poser au chauffeur de taxi de l’aéroport, ce chauffeur maussade et un peu inquiétant à l’affût du voyageur épuisé comme le lion sur les traces du gnou blessé, et qu’il faut amadouer pour éviter les détours interminables. Si l’on se trouve au Mexique : “comment s’en sort le Monterrey de Gignac ?” En Argentine : “David Trezeguet n’est plus aux Newell’s Old Boys ?” Au pousse-pousse chinois, en s’aidant de signes : “Guillaume Hoarau, ça vous dit quelque chose ?” Ou en Inde : “sérieusement, Cédric Hengbart joue encore au football ?” Là, les plus taciturnes des chauffeurs deviennent diserts, une communauté s’établit dans la cabine du taxi, rickshaw ou tuk-tuk, selon l’endroit. On n’en est pas moins escroqué sur le prix de la course, mais fraternellement, et l’on tire de la conversation qu’a ouverte cet universel sésame culturel de précieuses mises en garde contre d’autres arnaqueurs locaux.
Et ce gamin des rues qui s’écrie, en apprenant votre nationalité : “français ? Paris ! Paris…”, n’ajoute pas : “la Tour Eiffel” ni “Amélie Poulain”, mais toujours : “… Saint-Germain !”. D’ailleurs, il en porte le maillot, un vieux maillot de Raï au Brésil ou de George Weah en Afrique. Et s’il veut vous montrer, pour quelques centimes, qu’il connaît votre culture, ce n’est pas François Hollande, son président : c’est Laurent Blanc. Et partout dans le monde, le mot français provoque deux réflexes : “voulez-vous coucher avec moi ?” pour les mélomanes, et “Zinédine”, ce sésame, ce Zidane qui ouvre toutes les portes, qui prouve au gamin des rues, par-delà les frontières, l’incompréhension et la misère, qu’on partage plus qu’il n’y paraît, et qu’on parle le même langage.
Le football, c’est l’universel, la quête commune du même but, la communion dans le jeu, qui définit l’humain plus que toute autre chose. Le gosse qui passe des heures au téléphone pour réunir au moins six copains le dimanche sur le terrain en béton du quartier ; l’adolescent qui invite ses potes pour une soirée FIFA à la console, avec pizzas surgelées et bières pas fraîches ; le cadre qui sort plus tôt du travail pour ne pas manquer le match de Champion’s League au pub d’en bas ; le papa qui emmène ses mômes au stade ; tous ceux-là le savent très bien : le football, c’est la communion.
Le seul qui l’ignore, le seul qui n’a rien compris à cette philosophie-là, c’est le président de la Ligue Professionnelle de Football (LFP), Frédéric Thiriez, qui vient de démissionner. En quatorze ans de mandat, Frédéric Thiriez n’a pas cessé de construire des murs, de séparer, d’opposer les uns aux autres. L’historique Union des Clubs Professionnels de Football (UCPF) en sait quelque chose, qui a vu 19 des 20 clubs de Ligue 1 la quitter l’année dernière, pour se réunir dans le syndicat Première Ligue. L’UCPF avait alors demandé la démission de Thiriez qui avait “failli à sa mission en ne jouant pas son rôle de rassembleur”. Rassembleur, Thiriez ? À part contre lui, voilà une chose que l’énarque n’a pas su faire. Noël Le Graet, le président de Fédération Française de Football (FFF), n’était pas le seul qu’il avait réussi à se mettre à dos, loin de là.
Qu’on demande aux clubs corses, après que Thiriez n’est pas descendu sur la pelouse serrer la main des finalistes bastiais de la coupe de France 2015, après avoir refusé de faire de l’anniversaire de la catastrophe de Furiani un jour sans football et ne s’être pas déplacé à Bastia pour le titre de Ligue 2.
Qu’on demande aux arbitres, après qu’il a présenté des excuses pour l’arbitrage de Nicolas Rainville au président qatari du PSG après un match contre Lens en 2014.
Qu’on demande aux clubs amateurs, après qu’il a refusé la montée en L2 à Luzenac en 2014.
Qu’on demande aux clubs de Ligue 2, après qu’il a autorisé la chaîne qatarie BEIN à programmer des multiplex le vendredi soir, au grand dam des supporteurs, et qu’il a tenté en vain de supprimer la troisième montée, afin de sanctuariser la Ligue 1 des clubs les plus riches.
Qu’on demande aux ultras, disparus des stades de Ligue 1.
Comble du ridicule, voilà désormais que la LFP s’en prend à MPG, un jeu en ligne gratuit qui utilise les noms des joueurs de Ligue 1, un drôle de jeu sans enjeu qu’on joue entre amis en constituant de petits championnats. Est-ce parce qu’il n’y a pas d’argent en jeu que MPG déplaît tant ?
Tel est le bilan des présidences de Frédéric Thiriez, tellement clivant que les clubs professionnels ont repris la main sur la LFP, en votant de nouveaux statuts : dans la nouvelle gouvernance, la fonction présidentielle devient représentative. Est-ce la raison de la démission surprise de Frédéric Thiriez ? Ou bien, comprenant finalement la nature réunificatrice du football, a-t-il réalisé qu’il n’avait que ce moyen de faire enfin l’unanimité ?
Sébastien Rutés
Footbologies
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