Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
Vous l’aurez sans aucun doute remarqué : notre gouvernement a urgemment besoin d’aller vite, toujours plus vite, encore plus vite. Il en oublie même pour cela les règles qui régissent ce qu’on appelle encore la « démocratie ». Tenez, par exemple, il se trouve que, jusqu’à il y a peu – je parle là d’une l’époque où l’on prenait encore un tout petit peu le temps de faire les choses – on avait pour habitude de préparer les lois (« Loi : Règle, prescription émanant de l’autorité souveraine dans une société donnée et entraînant pour tous les individus l’obligation de s’y soumettre sous peine de sanctions »), de les discuter, de les soumettre aux chambres élues, de les faire amender, de les faire voter. Après tout cela, elles étaient promulguées. Et puis, ensuite, ensuite seulement, on les appliquait.
Tout cela était atrocement long. Inutile de se voiler la face. Consulter les gens, même acquis corps et âme à votre cause (la composition actuelle de l’Assemblée ne laisse aucun doute sur l’issue des « débats » qui peuvent s’y tenir), fait perdre un temps fou. Certains dictateurs éminents l’ont fort bien compris en leur temps, ils ont gagné un temps considérable en édictant des lois en deux temps trois mouvements, pas de discussion, c’est décidé et hop, appliqué. Ça fait rêver, avouez.
Eh bien notre gouvernement a pris, comment dire, ce mauvais pli. Sans nous attarder sur l’emploi récurrent et souvent dénoncé des ordonnances, prenons un exemple tout récent : le projet de loi relatif à « l’orientation et à la réussite des étudiants » et la mise en place du portail Parcoursup qui remplace le dispositif Admission Post Bac (APB) pour les lycéens de Terminale. La ministre de l’Enseignement supérieur a pris, le 19 janvier, un arrêté pour la mise en œuvre du traitement automatisé des données collectées par le nouveau portail Parcoursup, appliquant ainsi par anticipation le projet de loi relatif à « l’orientation et à la réussite des étudiants » qui n’était pas encore voté puisqu’il devait être discuté par le Sénat les 7 et 8 février seulement. Le gouvernement a alors demandé aux parlementaires de voter une loi déjà mise en application dans les faits. Un certain nombre d’élus se sont indignés face à un procédé clairement illégal, et humiliant de surcroît : qu’on leur laisse au moins le temps de faire mine de la discuter, cette nouvelle loi, et enfin de la voter. C’est vrai, quoi, on a des principes, on est une DÉMOCRATIE, et il paraît que ce n’est pas un mot creux, que la chose comporte tout un tas de principes et de règles.
Mais en fait non.
Et pourquoi ?
Parce qu’on n’a pas le temps.
« Le temps manque. Nous manquons de temps […] Nous sommes dans un état d’urgence permanent. Plus encore que la vitesse qui nous entraîne irrésistiblement dans son tourbillon, c’est une constante obligation d’immédiateté qui s’impose à nous », écrit l’historien Jérôme Baschet dans son essai paru le 1er mars aux éditions La Découverte : Défaire la tyrannie du présent. Temporalités émergentes et futurs inédits. Il va sans dire que cette lecture, tout juste sortie des ateliers d’imprimerie, sera salutaire pour un bon nombre de patients bien au-delà du cercle ici visé, mais nous avons décidé de la prescrire en tout premier lieu à ceux et celles qui nous gouvernent pour des raisons évidentes : ce sont les plus atteints, et les conséquences de leur « hyperactivisme frénétique » (je reprends là les termes de Jerôme Baschet qui me paraissent tout à fait appropriés au cas présent, ultraprésent même si je puis me permettre) seront à terme bien lourdes à supporter pour l’ensemble du corps social.
« Par temps de crise – explique l’essayiste –, la confiance en l’avenir chute drastiquement et tend même vers zéro. On est aux antipodes de l’optimisme foncier que conférait la foi dans le Progrès, de laquelle découlait la certitude que le monde de demain ou d’après-demain serait meilleur que celui d’hier et d’aujourd’hui […] l’enfermement dans le présent est, depuis lors, d’autant plus marqué que le primat de l’immédiat et du court terme dévalue l’intérêt d’une pensée proprement historique… »
Mise en garde : le remède ici proposé aux équipes macronistes est violent et il conviendra d’adapter la posologie, qui sera toujours progressive, à chaque cas : de 5 à 20 pages par jour, à augmenter en cas de bonne tolérance par tranches de 5 pages. En effet, l’historien, sans états d’âmes, décide de procéder « par un décentrement du regard, car si l’on s’est trouvé incité à s’engager dans cette réflexion, ce n’est pas, en premier lieu, à partir des travaux des historiens de métier, mais sous l’effet des suggestions d’un mouvement de lutte, de sa pratique et de sa réflexion, telles qu’elles se sont déployées dans les montagnes du Sud-Est mexicain ». Oui, vous l’aurez d’ores et déjà compris, nous nous proposons de traiter ici des patients certes ni de droite ni de gauche mais tout de même un peu de droite par le biais d’un texte s’appuyant très clairement sur une expérience révolutionnaire radicale : le zapatisme, mouvement « suggérant l’émergence d’un autre régime d’historicité », et c’est bien en cela qu’il peut ici être éclairant.
Parce qu’une « sortie du présentisme » est possible, parce que « sortir du présentisme, c’est aussi et avant tout rouvrir le futur », nous recommandons l’ingurgitation par tous les adhérents à La République en Marche ainsi qu’à ceux qui, d’une façon ou d’une autre, s’y sont frottés, l’ingestion complète donc, de cet ouvrage qui, nous l’espérons, pourra percer une brèche, fût-elle modeste, fût-elle lointaine, dans notre avenir un peu bouché.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
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