L’invasion de l’Ukraine par la Russie a déclenché une vague d’indignation presque sans précédent depuis la seconde guerre mondiale parmi les pays européens ainsi qu’aux États-Unis
Pour autant sommes-nous certains de comprendre ce qui se passe à nos frontières ?
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Quelques éléments d’histoire.
Kiev a été fondé en 880 par la dynastie des Riourik d’origine suédoise (quoique les Russes auraient préféré qu’elle fût slave), peu de temps après Novgorod, fondée en 862. On ne parle évidemment pas d’État à cette époque mais de principautés indépendantes les unes des autres. En 1156, c’est la création de Moscou qui deux siècles plus tard donnera naissance à la Moscovie. Affirmer comme le fait Vladimir Poutine que Kiev est la mère de toutes les Russies est donc aussi absurde qu’affirmer que l’Allemagne serait à l’origine de la France parce que le royaume franc a été fondé en Rhénanie au V° siècle, comme le remarque Pierre Lorrain dans son excellent ouvrage : L’Ukraine, une histoire entre deux destins (éditions Bartillat, 2019), ouvrage auquel j’emprunte l’essentiel des remarques qui suivent.
L’histoire de ce qui ne s’appelle pas encore l’Ukraine est ensuite celle des Cosaques qui en 1552 fondent la « sitch » (place fortifiée) des Cosaques Zaporogues à Zaporojia. C’est ensuite la fondation de « l’hermanat » (le commandement) de Kiev par les mêmes Cosaques qui chassent alors les Polonais des terres qu’ils occupaient. Un siècle plus tard, en 1654, les Cosaques font alliance avec le Tsar de Russie. Il semble que le début des problèmes qui opposent la Russie à l’Ukraine remonte à cette alliance que les Cosaques interprètent comme un simple traité de défense mutuelle en cas d’agression alors que les Russes y voient un pacte de vassalité.
C’est pourtant l’interprétation russe qui va l’emporter au cours du XVIII° siècle qui voit peu à peu l’ensemble des territoires cosaques incorporés aux structures administratives de l’Empire russe.
Au XIXe siècle une partie de l’Ukraine (à l’ouest du Dniepr) est annexée par l’Empire austro-hongrois tandis que l’est reste sous domination russe. Deux occupations mais deux politiques que tout oppose. Les Autrichiens reconnaissent aux Ukrainiens une identité propre. C’est à cette époque que naît la langue ukrainienne en tant que langue écrite. Cette politique de reconnaissance des peuples se retrouve dans toutes les parties de l’Empire austro-hongrois. Elle déplaît cependant fortement et aux Polonais qui considèrent que la Galicie est polonaise et aux Russes qui estiment que l’Ukraine n’est qu’une fiction. Commence alors une longue rivalité entre les Ukrainiens de l’Ouest et ceux de l’Est qui se sentent plus russes qu’ukrainiens et qui ne peuvent d’ailleurs parler leur langue. Enfin alors que l’Autriche fait de la Galicie un territoire essentiellement agricole, la Russie, dans la seconde moitié du XIX° siècle, industrialise la partie qu’elle occupe et notamment le Donbass dont il est tant question aujourd’hui.
À la fin de la première guerre mondiale, en 1918, l’Ukraine accède enfin à l’indépendance mais c’est pour une courte durée : cet État ne dure pas plus d’une année. Les Occidentaux comme les Bolcheviks s’empressent rapidement de dépecer l’Ukraine : la Galicie est attribuée à la Pologne, la Transcarpatie à la Tchécoslovaquie, la Bucovie à la Roumanie, enfin les Soviétiques s’installent à Kharkov.
Jusqu’à la seconde guerre mondiale, les Bolcheviks vont tour à tour développer « l’ukrainisation » de l’Ukraine (la langue et le folklore) et la réprimer, notamment au moment des grandes purges staliniennes. Dans le même temps se poursuit l’industrialisation du Donbass.
C’est à la même époque que se produit « la grande famine » (1933) qui fit entre quatre et cinq millions de morts dans le pays sur un total de quelque sept millions de victimes dans l’Union soviétique : l’Ukraine paya un lourd tribut à la politique de rationalisation de l’agriculture imposée par Staline.
Quand les Nazis entrent en Ukraine, ils sont très favorablement accueillis dans l’ouest du pays où les paysans sont heureux de voir la fin de la collectivisation des terres. Un parti nationaliste et pro nazi est créé par Stepen Bandera, personnalité peu recommandable mais dont la mémoire fut néanmoins honorée récemment par le gouvernement de Viktor Iouchtchenko. Dès 1941 (avant la conférence de Wannsee donc qui n’a lieu qu’en 42), des Ukrainiens participent de façon active à l’extermination des juifs : 33 000 juifs sont exécutés par balles dans le ravin de Babi Yar, près de Kiev. Sur la totalité des juifs exterminés par le régime nazi, on estime à 900 000 ceux qui provenaient d’Ukraine.
Après la défaite de l’Allemagne, les Soviétiques récupèrent les territoires perdus lors du conflit et l’Ukraine se trouve à nouveau annexée à l’URSS mais en tant que République autonome. La Crimée, qui ne faisait pas historiquement partie de l’Ukraine, lui est offerte « en cadeau » par Khrouchtchev en 1954, Crimée alors peuplée à 71% de Russes. Cette Ukraine, à la fois autonome et très soviétique, produit du blé, de l’acier et surtout des armements lourds et notamment des ogives nucléaires.
Sous l’impulsion de la politique de Boris Eltsine, Leonid Kravtchouk proclame l’indépendance de l’Ukraine en juillet 90, indépendance que vient confirmer le référendum de décembre 91 qui voit le oui l’emporter à 90,32%. Cette indépendance n’est cependant reconnue sur le plan international qu’à une condition expresse émise par … les États-Unis : que l’Ukraine restitue à la Russie tout son arsenal nucléaire. Il paraissait en effet invraisemblable qu’un État nouvellement créé puisse être en même temps l’une des premières puissances nucléaires de la planète !
Comme dans d’autres pays du bloc soviétique, et comme en Russie elle-même, l’indépendance se passe pourtant mal : les prix à la consommation augmentent de façon fulgurante, la délinquance explose, le nombre des homicides est multiplié par trois en dix ans. La police elle-même se spécialise dans le racket. Last but not least, ceux que nous appelons les Oligarques font leur apparition en Ukraine comme en Russie. Les grandes industries sont vendues pour presque rien à des hommes d’affaires qui s’enrichissent dans des proportions inouïes, acquérant ainsi un pouvoir qui leur permettra pendant les décennies suivantes de faire la pluie et le beau temps lors des élections.
En 2000, alors que l’Ukraine tente de se rapprocher des pays de l’ouest, l’Europe et le FMI exige de sa part un ensemble de réformes destinées à la fois à lutter contre la corruption et à mettre fin à l’intervention de l’État dans les affaires économiques. Mais la même année un journaliste ukrainien est assassiné alors qu’il enquêtait sur la corruption, provoquant un scandale d’État. De nombreuses manifestations ont lieu à Kiev contre le gouvernement de Koutchma. Elles s’achèvent dans la violence en raison de la présence dans les cortèges de partisans du parti d’extrême droite UNA-UNSO.
En 2004 ont lieu des élections présidentielles qui opposent autant deux candidats que deux parties de l’Ukraine : Viktor Ianoukovytch à l’Est et Viktor Iouchtchenko à l’Ouest. À l’issue du second tour la fraude massive déclenche ce qu’on a appelé la Révolution orange dont le lieu symbolique est la fameuse place Maïdan (place de l’Indépendance). Les élections sont annulées et un nouveau scrutin est organisé en décembre. C’est le candidat de l’Ouest, Iouchtchenko, qui remporte le suffrage à une courte majorité avec 51,99% des voix, actant ainsi la séparation de deux Ukraine.
Iouchtchenko va mener une politique ambigüe puisqu’il tente à la fois et sans succès de se rapprocher de Moscou (dont dépend fortement l’Ukraine pour son approvisionnement en gaz) et de se rallier les sympathies des Occidentaux en se rendant aux Etats-Unis sans pour autant, du moins officiellement, demander à adhérer à l’OTAN. C’est d’ailleurs le même homme qui décide de faire de Bandera, le dirigeant du parti pro nazi, un héros national.
En 2012, lors des élections législatives, on assiste ainsi à une percée du parti d’extrême droite dirigé par Svoboda et directement inspiré de l’ancien parti de Bandera. Un autre parti nationaliste voit ensuite le jour : « le Secteur droit ». Ces partis sont farouchement hostiles à la Russie et au rapprochement à l’égard de cette puissance honnie que finit par faire Iouchtchenko en 2014, essentiellement pour des raisons économiques. De nouvelles manifestations ont alors lieu contre le gouvernement, fortement marquées par la présence de l’extrême droite. La même année, en mars, la Russie envahit la Crimée. On commence à parler du « bataillon Azov », milice paramilitaire néonazie, déjà présente dans les affrontements au Donbass et qui finit par intégrer la Garde nationale de l’Ukraine.
Une partie de cette histoire mouvementée s’achève avec les accords de Minsk de 2015 : l’Ukraine et la Russie se mettent d’accord pour accorder un statut d’autonomie au Donbass. Mais, comme nous le savons aujourd’hui, ces accords ne seront pas respectés. Le conflit qui éclate ensuite au Donbass aurait fait plus de 14 000 morts et contraint environ un million de personnes à fuir vers la Russie.
La suite de cette histoire commence avec l’élection de Volodymyr Zelensky en 2019.
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Zelensky est né en 1978 en Ukraine dans une famille juive où on parlait russe et qui avait combattu dans les rangs de l’Armée rouge contre les nazis. Après des études de droit, Zelensky se tourne vers le métier d’acteur : il enchaîne des stand-up à la télévision. Doué, il recueille les faveurs du public et fonde en 2003 sa propre maison de production, le studio Kvartal 95. Le personnage apparaît donc de prime abord sans doute atypique (un comédien qui devient président) mais aussi sympathique : c’est un comique qui a des allures d’honnête homme. Pourtant son passé est moins clair qu’il ne semble.
La chaîne de télévision « 1+1 » où il se produit en tant que comédien appartient à un homme extrêmement trouble : Igor Kolomoïsky. C’est un homme d’affaire israélo-chyprio-ukrainien. Il est le troisième oligarque d’Ukraine avec une fortune estimée par Forbes à 2,4 milliards de dollars.
Je vais m’arrêter un peu sur ce personnage sulfureux d’une part en raison des liens étroits qui le lie à Zelensky, ensuite parce que la plupart des médias français n’évoquent jamais son nom, pas plus d’ailleurs que ceux des autres oligarques ukrainiens qui ont pourtant tous joué un rôle considérable dans la vie politique de l’Ukraine depuis son indépendance.
Kolomoïsky est le fondateur de la Privat Bank qui contrôle plusieurs compagnies aériennes. Ses activités concernent également le ferroalliage, la finance, l’exploitation pétrolière et les médias : l’oligarque contrôle sept chaînes de télévision ! Décrit comme russophobe, il aurait été l’allié de Ioula Tymochenko lors de la Révolution orange et du président Viktor Iouchtchenko qui le nomme gouverneur de l’oblast de Dnipropetrovsk en 2014. Enfin il est connu pour ses liens avec le parti nationaliste ukrainien « Secteur droit » (parti d’extrême droite). C’est d’ailleurs lui qui finance le fameux « bataillon Azov ». En 2015, Kolomoïsky entre en conflit avec les autorités centrales d’Ukraine qui l’accusent d’être impliqué dans des activités criminelles et le contraignent à démissionner de son poste de gouverneur de Dnipropetrovsk. L’homme quitte ensuite l’Ukraine pour y revenir après l’élection de Zelensky qu’il soutient ouvertement.
Dans un documentaire consacré à Zelensky, la chaîne Arte montre bien les liens qui unissent l’actuel président à ce que nous appellerions un homme d’affaire mafieux (« Zelensky, l’homme de Kiev », Arte, mars 2022).
Et c’est là le paradoxe de l’élection de Zelensky. Il a su conquérir le cœur des électeurs en jouant la carte d’un personnage étranger au système qui prévalait jusqu’alors dans son pays. Comédien, il se présente comme le naïf de la classe et prétend lutter contre la corruption. Pourtant sa campagne est soutenue par les médias et par Kolomoïsky. Au pouvoir, Zelensky promet des réformes à la fois sur le plan économique et contre la corruption, réformes qui tardent à être mises en œuvre. Le Covid qui fait son apparition en 2020 n’a évidemment en rien facilité la tâche de ce nouveau président : l’Ukraine, malgré ses richesses (blé, uranium entre autres) reste un pays pauvre.
C’est probablement l’agression de la Russie qui va non seulement révéler Zelensky au monde entier mais aussi à lui-même : l’homme se dote soudain d’une stature que personne ne lui prêtait avant la guerre. Il aurait également pris ses distances avec Kolomoïsky. Dès lors que penser de ce président ? Il est difficile de se prononcer sur ses intentions tant le conflit armé qui dévaste l’Ukraine crée un écran de fumée autour de son personnage qui a en quelque sorte le beau rôle.
Mais que veut-il au juste ? Sa demande d’adhésion à l’Union européenne nous donne un élément de réponse : il cherche à se détacher de la Russie, comme l’avaient déjà souhaité certains de ses prédécesseurs au pouvoir pour se tourner vers l’Ouest. En ce sens son rôle est (ou sera : l’avenir n’est pas écrit dans le marbre) historique puisque si l’Ukraine devait, un jour, entrer dans l’Europe, elle achèverait la décomposition de ce que fut l’empire russe puis l’Union soviétique. La question est de savoir s’il est possible de lui faire confiance et si l’Union européenne a la capacité d’avaler un aussi gros morceau qu’est l’Ukraine, avec son passé, c’est-à-dire son passif, comme avec son présent : ses partis d’extrême droite et la corruption qui gangrène l’État.
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Le dernier point que je voudrais étudier porte justement sur le rôle de l’Union européenne. De nombreux observateurs ont souligné le fait que l’agression russe en Ukraine avait contraint les différents États de l’Union européenne à se rapprocher pour se penser comme une seule et même puissance (à l’exception notable de la Hongrie de Viktor Orban qui continue, contre vents et marées, à clamer son admiration pour la Russie de Vladimir Poutine). Pourtant si le fait est indéniable, il n’a sans doute pas été assez analysé ou interprété. Car que signifie cette prise de conscience des pays européens de véritablement faire partie d’une union ? Que signifie l’Europe ?
Il me semble que ce qui est en train de se produire est la prise de conscience de l’Europe en tant que puissance hégémonique. Sans doute cet « empire » n’a rien de commun ni par sa puissance ni par son fonctionnement avec ces empires que sont les États-Unis, la Russie et la Chine. Nous ne sommes d’ailleurs même pas une confédération, mais seulement une union. Union qu’il est cependant difficile de quitter comme ont pu le constater les Anglais avec l’expérience amère du Brexit. Il reste que nous incarnons une puissance aussi bien économique qu’idéologique : nous possédons des principes que beaucoup de pays nous envient (notamment la liberté d’expression et la liberté de mœurs). Nous sommes également riches. Mais nous ne savons pas encore ce que nous voulons au juste tout en montrant cependant le contraire. Si nous regardons la carte de l’Europe après la chute du Mur de Berlin (1989), nous pouvons voir comment l’Union européenne a peu à peu agrégé les anciens pays du bloc soviétique : Pologne, Roumanie, Pays baltes, Tchécoslovaquie (scindée en Tchéquie et Slovaquie), Hongrie, sans oublier enfin la Croatie et la Slovénie. À mesure que reculaient les frontières de la Russie, les nôtres s’élargissaient. Il n’est pas surprenant, si nous acceptons d’être honnêtes, que la Russie ait pu voir d’un mauvais œil et le grignotage de son ancien territoire et l’avancée de l’Europe, d’autant plus que plusieurs pays de l’Union sont aussi membres de l’OTAN.
La question qui se pose aujourd’hui me paraît au fond assez simple tout en étant fondamentale : existe-t-il encore en Europe (définie géographiquement) une place pour un État indépendant ? Les États doivent-ils choisir entre l’adhésion à l’Union européenne et l’appartenance (déclarée ou officieuse) à la Russie ? Si nous regardons à nouveau une carte, nous voyons que la question ne se pose plus que pour quelques États dont certains ont d’ores et déjà déposé une demande d’adhésion à l’Union : l’Ukraine bien sûr, la Moldavie, la Bosnie-Herzégovine (candidate à l’adhésion), le Monténégro, l’Albanie (candidate à l’adhésion), la Serbie, la Macédoine du Nord, la Norvège. Quant à la Biélorussie, elle est depuis longtemps un État vassal de la Russie.
Il y a donc un impensé chez la plupart des Européens de l’Union : bâtie autour d’un idéal démocratique, faisant de la défense des libertés (et du droit où elles s’incarnent), l’Europe n’a jamais voulu se penser autrement que comme une puissance économique sans vouloir accepter qu’elle devenait peu à peu, et peut-être malgré elle, une puissance à la fois politique et militaire : une puissance hégémonique. Faut-il rappeler que la Turquie a longtemps caressé l’espoir de rejoindre l’Union ? Bref, « nous autres bons européens » (Nietzsche) avons été un peu naïfs ou crédules ou encore inconscients : nous n’avons pas vu ce que nous étions en train de créer. Il ne s’agit pas ici de le déplorer : les rapports entre les États ou les Empires ont toujours été des rapports de force. Mais il s’agit en revanche d’en prendre pleinement conscience, comme vient d’ailleurs de le faire le gouvernement de Olaf Scholz qui a fait voter un budget d’un milliard d’euros pour réarmer l’Allemagne : du jamais vu depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
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Trois points pour conclure.
Il est tout d’abord inévitable de poser la question de savoir si l’Union européenne doit intervenir directement dans le conflit ukrainien. À la lumière des éléments que j’ai rappelés plus haut, je répondrai clairement non, quitte à irriter les amis de l’Ukraine. Cela ne signifie pas évidemment qu’il ne faille rien faire. Nous avons d’ailleurs déjà beaucoup fait et nous l’avons fait très rapidement. Nous avons livré et nous continuons de livrer des armes, nous accueillons les réfugiés ukrainiens, nous tentons (sans succès) de ramener Poutine à la raison en usant de la diplomatie. Mais nous engager militairement serait folie, sauf à y être contraint non par Kiev mais par Moscou.
Quelle que soit l’issue de cette guerre, il apparaît dans tous les cas qu’elle est déjà perdue pour Vladimir Poutine. Son intention était de démontrer la force militaire de la Russie : c’est un échec. Au lieu du Blitzkrieg attendu, les troupes russes s’enlisent dans ce que nous pourrions appeler le bourbier ukrainien. Poutine lui-même semble découvrir le piteux état de son armée, dépecée depuis Eltsine comme l’ont été tous les biens qui appartenaient autrefois à l’URSS. Poutine voulait impressionner l’Europe et lui montrer sa fragilité : c’est encore un échec puisque l’Europe se réveille et semble prendre conscience d’elle-même.
Mais l’Ukraine existe-t-elle ? La question est irrévérencieuse et pourrait paraître dictée par le maître du Kremlin. Et pourtant l’histoire des terres d’Ukraine rend la question inévitable. Ce pays a en effet appartenu tour à tour au grand-duché de Pologne-Lituanie, à l’Autriche-Hongrie, à la Russie, à l’Allemagne, à l’URSS enfin (et j’oublie probablement quelques occupants, comme les Mongols de Gengis Khan au XIII° siècle, et l’empire Ottoman, qui s’est étendu durant plusieurs siècles sur les deux rives de la mer Noire). Ce n’est que très tardivement que l’Ukraine a accédé au statut d’État souverain et indépendant. C’est ainsi que Poutine justement voit les choses. Rappelons encore, pour enfoncer le clou, qu’Odessa a été fondé par Catherine de Russie. Bref des siècles d’histoire semblent unir leur force pour faire de l’Ukraine le « fantôme de l’Europe » selon l’expression de Benoist-Méchin. Mais, car il y a heureusement un mais, l’Ukraine a accédé à son indépendance à la suite d’un référendum où le oui l’a emporté largement, y compris à l’Est et notamment dans le Donbass (83,86% de oui). Même en Crimée, il est vrai avec une courte majorité (54,19%), le oui l’a emporté.
L’Ukraine existe donc puisqu’un peuple en a décidé ainsi. Le droit des peuples à l’autodétermination est sans doute le plus important des droits. La guerre menée par Poutine est sans conteste une guerre injuste, elle est de ces guerres qu’on appelle d’agression. Il reste maintenant à l’Ukraine à bouter l’ennemi hors de ses frontières et à réaliser son unité comme l’ont fait autrefois tant de pays européens, comme l’Italie par exemple avec le Risorgimento. Quelles seront les frontières de l’Ukraine libérée du joug russe ? Je crois que personne, aujourd’hui, n’est capable de répondre à cette question.
Gilles Pétel
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