La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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La glande uropygienne (Glandula uropygialis)
| 07 Sep 2022

Elle est où, la glande?

« Est-il plus plaisant spectacle que celui du cygne sauvage s’escagassant le fion d’un bec fouineur sur l’étang brumeux que le soleil levant redore au clair matin ! Croyez-vous que ce fringant palmipède se titille ainsi le sphincter dans l’espoir de quelque orgasme à plumes ? Ou bien qu’il s’ébroue la houppette pour en chasser les poux d’eau qui s’accrochent à son duvet pour en sucer la moelle du penne ? »
Pierre Desproges, extrait de l’article « uropygienne », in Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis (Paris, Éd. du Seuil, 1985).

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Chez la quasi-totalité des oiseaux, et notamment chez les manchots – même si ces emplumés ne savent pas voler et qu’à ce titre certains mauvais coucheurs trouvent argument pour ne les point considérer comme oisiax authentiques – mais bref, chez les volatiles en général se remarque au-dessus de leur trou du cul – on appelle ça le cloaque chez les piafs, comme chez les Romains qui l’ont « Maxima »… Chez les oiseaux, disais-je, se remarque une glande sise à courte distance du croupion. Les savants aviaires la désignent – tenez-vous bien ! – sous le nom de glande uropygienne, ou mieux encore glandula uropygialis. U-RO-PY-GIEN-NE, et ouais ! Tout un programme, n’est-il pas ? Mais ne fuyez pas, le mot est moins intimidant qu’il n’en a l’air et, si j’osais, je dirais même qu’il pète plus haut que son cul, le cloaque autrement dit. Car, fondamentalement, il n’y a rien que du très commun à venir se camoufler ainsi dans cette captieuse étymologie en grec ancien. Ça vient en effet d’ουρά (oura), la « queue », et de πυγη (pugê) la « croupe » ; « qui se rapporte au croupion » pour le dire vulgairement. Vous voyez, dit ainsi l’amphigourique soufflé retombe séant, et pour bien résumer la chose, on pourrait proclamer qu’entre la queue et les fesses surgit la glande uropygienne du tégument des manchots, en toute simplicité.

Localisation de la glande uropygienne chez le manchot de Humboldt (Spheniscus humboldti). Photo : François-Gilles Grandin, Museum National Histoire Naturel, Parc zoologique de Paris, in Les Expériences d'Antoine « Une huile qui a peur de l'eau » MNHN

Localisation de la glande uropygienne chez le manchot de Humboldt (Spheniscus humboldti). Photo : François-Gilles Grandin, Museum National Histoire Naturel, Parc zoologique de Paris, in Les Expériences d’Antoine, « Une huile qui a peur de l’eau » MNHN

Manchot empereur (Aptenodytes forsteri) apprenant à lustrer à son poussin. Photo Sylvain Cordier / Corbis, in Smithsonian Magazine, 29, juin 2014, « Emperor Penguin Colonies Will Suffer As Climate Changes » by Helen Thompson

J’avoue, je n’y entends goutte en glande, mais l’uropygienne en est assurément une admirable ; une belle glande sébacée bilobée exocrine, à ce que je me suis laissé dire, et luisante avec ça, et boursouflée aussi, comme il convient. Elle sécrète puis elle excrète, cette glande, une grasse huile essentielle à la survie des emplumés qu’ils viennent par instinct récupérer sur leur bec après excitation orificielle, avant de s’en enduire avec méthode le plumage. Rares sont les espèces d’oiseaux, quels que soient leurs noms, parvenues à échapper à cette loi d’airain de l’ornithologie. Or, si ce spectacle de l’épandage oléo-uropygien nous est peu accessible – à nous les humains – relativement aux manchots, sachant que la plupart d’entre eux vivent en des espaces à la fois lointains et hostiles, pour la majorité des autres piafs, du goéland cendré sur les plages, au chardonneret élégant sur les tableaux de maîtres, on peut régulièrement observer ces derniers l’appendice près du croupion collectant la substance qui suinte pour se la fourrer au plumet ; une sacrale toilette concomitante du lissage desdites plumes, partout, sur tout le corps aviaire, et même si ça doit prendre des plombes. Je n’invente rien, le savant Louis-Joseph Alcide Railliet (1852–1930), tenu en son temps pour un prophète, mais prosaïquement vétérinaire, zoologue et pape de la parasitologie moderne, l’avait annoncé : « On remarque, dans la région du croupion, une glande bilobée, appelée glande uropygienne, qui sécrète une matière huileuse propre à lustrer les plumes et à les garantir contre l’action de l’eau. Cette glande est très développée dans les espèces aquatiques. On sait que l’Oiseau se sert de son bec pour prendre la matière sécrétée et en enduire ses plumes » (in Traité de zoologie médicale et agricole, 2e édition, Asselin et Houzeau Éditeurs, Paris, 1895, p. 1020).

Vue macro de la glande uropygienne d'un piaf

Vue macro de la glande uropygienne d’un piaf. Photo VCA Animal Hospitals Canada, article en ligne: « Uropygial or Preening Gland in Birds »

Macroscopique image de la glande uropygienne du manchot papou ((Pygoscelis papua), in María Cecilia Chiale & Alii « Morphology and histology of the uropygial gland in Antarctic birds: Relationship with their contact with the aquatic environment? », Australian Journal of Zoology, 62(2), avril 2014     Schéma anatomique de la glande in Jacob J. & Ziswiler V. « The uropygial gland » Avian biology, Vol. 6, 1982

À gauche, macroscopique image de la glande uropygienne du manchot papou (Pygoscelis papua), in María Cecilia Chiale & Alii « Morphology and histology of the uropygial gland in Antarctic birds: Relationship with their contact with the aquatic environment? », Australian Journal of Zoology, 62(2), avril 2014.
À droite, schéma anatomique de la glande in Jacob J. & Ziswiler V. « The uropygial gland » Avian biology, Vol. 6, 1982

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Et le miracle de la Nature de se produire alors, puisque la substance excrétée de la glande, méticuleusement répandue sur le plumage, assure le Salut de la bête. Les plumes ointes par l’huile uropygienne sont protégées des agressions extérieures, des parasites et d’autres bactériennes engeances, mais elles acquièrent en outre une propriété imperméable. Voici, le mystère vient d’être révélé : le pouvoir imperméabilisant de la lustration ! L’huile uropygienne distillée sur le plumage, quand l’oiseau se nettoie et réordonne ses plumes, maintient l’imperméabilité du volatile ; une tâche capitale, on ne peut pas dire autrement, pour les sphéniscidés que sont les manchots qui séjournent plus de 80% de leur existence à la baille. En outre, les manchots – ô vénérable animal social – s’enduisent aisément les uns les autres à l’office lustral, dans le haut du dos ou le sommet du crâne, pour garantir à leurs congénères la meilleure protection qui soit contre les eaux froides et mortelles des océans où ces pauvres pêcheurs doivent tirer leur poisson quotidien. Les anglophones ont un terme spécifique pour désigner ce comportement social, ils l’appellent l’« allopreening », et comme l’anglais s’est affirmé depuis belle lurette comme la lingua franca de la communauté scientifique, c’est donc ce terme qui s’est imposé dans les publications savantes, alors que, si on avait demandé mon avis, j’aurais plutôt proposé ici une appellation à la fois plus élégante et référente comme « les formes élémentaires de la vie uropygienne »… Quoi qu’il en soit, cette pratique consistant à se tartouiller d’huile entre emplumés tend, selon les auteurs, à réduire l’agressivité, voire à envoyer des signaux explicitement sexuels à d’éventuels partenaires. Il est ainsi clair que la valeur communicationnelle de l’uropyge et de son « explicit content » oléagineux ne peuvent pas être négligés. Pensez-y la prochaine fois que vous demanderez à vos amis ce qu’ils ont glandé dans la journée.

Dès potron-minet, la tête dans le lustrage. Photo Monique Joris, finaliste du Comedy Wildlife Photo Awards en 2017. Ce concours de photos animalières a été conçu pour promouvoir les efforts de sauvegarde des espèces menacées.

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