La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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5 – Au-delà du pitch
| 07 Nov 2022
“Le Gouffre aux Séries”: une plongée bimensuelle dans soixante ans de feuilletons et de séries à la recherche des perles rares et de leurs secrets de fabrication.

Nous le savons bien, ce n’est pas l’histoire qu’elle raconte qui fait la qualité d’une série mais la manière dont elle la raconte. Toutefois certains pitchs sont si décourageants qu’on hésite à s’engager dans l’aventure. Prenez celui-ci: « Un nouvel entraîneur prend en main l’équipe de football américain du lycée d’une petite ville du Texas pour la propulser en tête du championnat ». Vous avez envie de voir ça? Moi, non. Si bien que j’ai longtemps hésité à jeter un œil sur Friday Night Lights (NBC, cinq saisons de 2006-2011). Mais quand enfin je l’ai fait, j’ai avalé presque goulûment les 76 épisodes des cinq saisons. Pourquoi? Parce que la série, tournée à l’épaule avec une caméra 16mm, a un incroyable sens du rythme et qu’elle déploie une galerie de personnages attachants.

Prenez cet autre résumé: « Vie quotidienne d’une famille contemporaine de Juifs ultra-orthodoxes à Jérusalem ». Ça doit être d’un chiant! Or non, Les Shtisel (Yes Stars puis Netflix, trois saisons entre 2013 et 2021) est une série passionnante, drôle et émouvante. Pourquoi? Parce que le contexte très particulier dans lequel elle se déroule donne un relief incroyable à l’humanité de ses personnages, si bien qu’elle finit par toucher à l’universel. La série est par ailleurs extrêmement bien écrite et réalisée, ce qui ne gâche rien.

Le Jeu de la Dame (The Queen’s Gambit) s’est taillé un joli succès en 2020 sur Netflix alors que ce n’était pas gagné d’avance: « Trajectoire d’une jeune joueuse d’échecs, en proie à des problèmes émotionnels et une dépendance aux drogues, qui va devenir la meilleure du monde ». Rien de moins télégénique que le jeu d’échecs. Oui mais rien de mieux qu’un roman d’apprentissage, surtout lorsque son héroïne est complexe et tourmentée. Cette fille aurait pu tout aussi bien vouloir gagner le Tour de France ou la coupe du monde de méditation, on serait resté scotché devant notre écran.

L’arrivée d’un nouveau pape au Vatican, ça vous dit ? Bof, bof. Sauf que The Young Pope (HBO, Sky Atlantic, Canal+, 2016) fait des merveilles en imaginant l’accession au Saint-Siège d’un jeune cardinal hors normes, doutant de sa foi et pourtant mystique, réactionnaire et pourtant résolument moderne, autoritaire et pourtant désinvolte, hautain et pourtant familier. Tout cela incarné par l’excellent Jude Law auquel nous donnerions le bon dieu sans confession, mais sans doute pas les clés de notre voiture. Il reprendra du service dans The New Pope (2020).

Les séries allemandes sont parfois, comment dire, un peu lourdes. Aussi un pitch comme: « En 1956, la directrice d’une école de danse de Berlin cherche à marier ses trois filles » donne envie d’aller boire un coup en attendant que ça passe. Or non Berlin 56 (ZDF, 2016) est un modèle d’écriture et de jeu et en sus illustre assez bien ce que la génération d’après-guerre doit au rock. Cette série s’est prolongée avec Berlin 59 (en 2018) et Berlin 63 (en 2021). Arte a diffusé les deux premières parties.

L’argument de Severance (Apple TV+, 2022) n’est pas complètement décourageant — « Des employés de bureau subissent une opération visant à séparer leurs souvenirs professionnels de leurs souvenirs personnels » — mais on ne voit guère comment cet exercice de hard SF pourrait nous captiver longtemps. Erreur : l’intérêt de cette série propulsée de main de maître par Ben Stiller va croissante d’épisode en épisode, et peu importe finalement l’hypothèse improbable sur laquelle elle se base, le spectateur est épaté par la performance du groupe d’acteurs (Adam Scott, Britt Lower, John Turturro, Patricia Arquette, Christopher Walken) qui le happe dans cette dystopie.

Plus terre à terre, trop sans doute: « Olive Kitteridge, enseignante à la retraite en proie à la dépression, est mariée à un homme gentil et aimant qui tient une pharmacie en centre-ville. Elle a un fils qui souhaite devenir podologue ». On est assez loin de Game of Thrones, non? Et pourtant les quatre épisodes d’une heure de Olive Kitteridge (HBO, 2014) clouent le spectateur devant son poste. Réalisation soignée, jeu excellent (celui de Frances McDormand en particulier).

Enfin, et c’est sans doute une des plus belles surprises de l’année, j’ai été happé, et beaucoup d’autres avec moi, par la série The Bear (FX sur Hulu, 2022), laquelle, sur le papier, ne promettait pourtant rien de bien excitant: « Un jeune cuisinier issu du monde de la gastronomie rentre à Chicago pour diriger l’échoppe de sandwichs italiens au bœuf de sa famille ». A l’arrivée, c’est un joyau de rythme, de tendresse et d’humanité. Bref une chose improbable portée par d’excellents acteurs.

Les mauvaises surprises sont hélas plus fréquentes que les bonnes. Nous y reviendrons si nous en trouvons le courage.

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