Courrier de Léa Lefol de la Rémige
Cher Philippe,
Je suis impressionnée par votre détermination à tirer du déplorable oubli où ils étaient tombés ces animaux que l’on croirait sortis tout droit de l’imagination d’un fada.
Dernière rejetonne de la lignée des Lefol dont la passion naturaliste confine à l’obsession pathologique depuis le XVIIIe siècle, je taisais depuis toujours mes marottes pour ne pas finir comme mon triste bisaïeul, à l’asile. Aujourd’hui, un exalté se prenant pour Jupiter parvient à l’Élysée tandis que s’avouer bénignement une sœur coléoptère vous vaut la camisole, bizarrerie pourtant de bien moindre nocivité pour autrui. Mais grâce à vous, les Lefol ne sont plus seuls. J’ai retrouvé le sourire tant il est vrai que, selon l’adage, plus on est de frappadingues, plus on se marre.
Trêve de préliminaires, j’en viens au Marabouléo.
Vous apprendrez, cher Philippe, que cet improbable croisement n’est pas le fruit d’un amour contre-nature mais le résultat d’une pure et simple bévue, l’autre bêtise de Cambrai. Ma grand tante Léonie, originaire de la petite ville du Nord célèbre pour ses friandises digestives, s’en était allée, comme beaucoup d’européens de son époque, faire fortune en spoliant les richesses de l’Afrique. Tata s’égara dans le désert et se retrouva en Gambie où elle ne trouva pas d’or. Ayant plus d’un tour dans son sac à main, Léonie eut l’idée de vendre au zoo de Vincennes un magnifique félin gambien, dont elle captura un spécimen d’une seule main sous le regard épaté des gens du coin. La chasse ce jour là fut bonne, puisqu’elle attrapa de l’autre main un splendide marabout, sous les yeux ébahis des badauds. Tout alla pour le mieux et l’affaire fut conclue : les animaux exotiques épataient les bourgeois de Paris tandis que ma grand tante rentrait à Cambrai avec un paquet de biffetons et… un œuf.
Que s’est-il passé dans l’arrière cuisine de Tata Léonie ? Alors qu’elle avait mis le coco à couver sous la lampe, espérant fonder l’unique élevage de marabout de Cambrai, le chat Léo attiré par la chaleur se coucha sur l’œuf qui éclot aussitôt. Oisillon et matou se prirent de bec. La bagarre fut rude mais sans témoin. Quand Léonie rentra du marché, elle découvrit l’horrible spectacle d’un petit marabout en pièce et d’un greffier bien abîmé. Ni une ni deux, elle tenta la chirurgie. Hélas, ma grand tante n’avait jamais eu d’habileté dans les travaux d’aiguille. Elle recousit, certes, mais comment ! C’est ainsi que naquit le premier marabouléo. Peu fière de son patchwork qu’elle trouva d’abord disgracieux, Tata Léonie repartit aussitôt pour la Gambie et n’en revint plus. Elle relâcha son inavouable créature dans le désert. La bête survécut et resta attachée à Léonie comme à sa vraie mère.
Ne nous reste, pour tout héritage de notre grand-tante, que ces gravures en couleur qu’elle a pris soin d’adresser à la famille, sentant sa fin proche.
Je vous laisse en prendre connaissance.
Zoologiquement vôtre,
Léa Lefol de la Rémige
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