Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
Sondeurs, sondeuses, pythies aux augures sans cesse défaits, devins aux présages incertains, prophètes moqués et stigmatisés, oracles aberrants : vous vous sentez déprimés, rejetés, diminués ?
Il est certain que vous vous y prenez mal.
D’après les quatre enquêtes réalisées entre le 10 et le 18 novembre, François Fillon avait 7% de chances de se retrouver en tête du premier tour des primaires de la droite.
Vos errements, soit dit en passant, ne datent pas d’hier. Rappelez-vous la sidération du pays tout entier au soir du 21 avril 2002, premier tour des élections présidentielles en France : le match Jospin/Chirac tant annoncé n’aurait pas lieu : le visage de Le Pen, contre toute attente, s’était affiché sur l’écran de télévision fixé par des millions de téléspectateurs. Le 17 avril, l’Institut Ipsos créditait Chirac de 20% des votes, Jospin de 18%, Le Pen de 14%. L’institut LCI/Sofres, à la même date, donnait pour les mêmes 19,5%, 17% et 13,5. Jean-Marc Lech, coprésident d’Ipsos avait admis : “Il faut parler d’échec, et ça ne sert à rien de le nier. Un sondage, c’est une prévision, et, en l’occurrence, la nôtre s’est montrée fausse pour deux candidats sur seize”. Deux sur seize, bah, ça pourrait presque sembler pas trop mal, mais il s’agissait tout de même des principaux candidats.
Hors hexagone, le désastre est identique.
Le 23 juin 2016, juste avant le vote, l’Institut de sondage anglais Ipsos Mori pariait sur une défaite du Brexit à 48% contre 52%.
Et perdait.
Aux États-Unis, l’élection fracassante de Donald Trump a également pris de court la majorité des commentateurs. La veille de l’élection, le Huffington Post américain, qui s’appuyait sur les sondages menés dans les différents États, évaluait la probabilité d’une victoire d’Hillary Clinton à 98,3%.
Les bourdes s’accumulent, mais, envers et malgré tout, vous persévérez, avec les mêmes bonnes vieilles méthodes. Et vous vous trompez, vous vous trompez encore et vous vous tromperez.
Alors que la solution existe.
Qu’elle est parfaitement décrite et tout à fait accessible à qui prendrait la peine de s’y intéresser, ce qui est bien la moindre des choses lorsqu’on se prétend sondeur ou sondeuse de métier.
Un ouvrage paru tout récemment fait magnifiquement le point sur la question. Il s’agit du dernier essai de Pierre Bayard, Le Titanic fera naufrage (éditions de Minuit).
“L’écrivain américain Morgan Robertson n’a jamais dissimulé qu’il s’était inspiré dans son roman Futility, pour décrire l’odyssée dramatique de son navire imaginaire, le Titan, du naufrage du Titanic survenu quatorze années plus tard”, commence l’auteur. Car les romanciers, explique-t-il dans son essai lumineux, ont en effet “un accès privilégié à des évènements qui ne se sont pas encore produits”. Contrairement aux dirigeants politiques et aux responsables d’instituts de sondages à travers le monde, qui, eux, se gardent bien de tirer parti “de la capacité annonciatrice de la littérature”. Attitude tout à fait regrettable, car “il n’existe […] aucun exemple d’un désastre d’envergure qui n’ait été annoncé […] par une ou plusieurs œuvres littéraires”. Les écrivains (Kafka, Wells, Proust, Houellebecq et bien d’autres ici convoqués) sont des lanceurs d’alertes injustement méprisés et il faudra bien un jour se résoudre à les “associer […] à la direction des affaires publiques”.
En attendant, mesdames et messieurs les sondeurs et sondeuses, le remède à tous vos égarements est à portée de main, au coin de la rue, dans toute bonne librairie : lisez l’essai de Pierre Bayard (pour la méthode), et puis lisez des romans, beaucoup de romans. Romans français, romans étrangers, récents ou anciens, l’avenir est là, inscrit noir sur blanc, quelque part.
Suffit de le dénicher.
Si vous suivez cette prescription à la lettre, votre avenir, n’en doutez pas, s’éclaircira, les moqueries cesseront, et vous jouirez d’une respectabilité renouvelée.
Je vous souhaite donc, au nom de tout le service de thérapie littéraire, de très bonnes lectures.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
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