Le dessinateur argentin, mort le 30 septembre à Mendoza à l’âge de 88 ans, n’est pas seulement le génial créateur de Mafalda. Dans un documentaire réalisé en 2005, El Humor (Pequeña Enciclopedia Ilustrada) – L’Humour (Petite Encyclopédie illustrée) –, Mariano Llinás et Ignacio Masllorens proposaient, dessins à l’appui, une édifiante analyse de l’art de Quino. L’extrait qui lui est consacré a été mis en ligne par la revue culturelle Kabinett. RS
Traduction des sous-titres du documentaire :
Au-delà de Mafalda (dont la place prééminente dans le dessin argentin ne souffre aucune discussion), le génie de Quino apparaît particulièrement dans ses dessins pleine page.
C’est là (avec suffisamment d’espace pour développer une idée, mais sans l’obligation pesante de l’articuler dans une trame complexe) que son travail se révèle – pourrait-on dire – subtilement prodigieux.
Le terme « subtilement » n’est pas arbitraire. La maestria formelle de Quino réside, précisément, dans sa capacité à être fortement innovateur sans perdre la subtilité dans le style et dans la ligne.
Il existe peu de dessinateurs aussi concernés par les problèmes formels.
Quino en fait, justement, l’axe même de son humour. Les ressources du langage sont celles qui amènent le gag ; elles sont porteuses de l’incongru, de la surprise et même de la violence.
Il suffit de s’arrêter, par exemple, sur l’emploi qu’il fait de la bulle.
Ou de recours graphiques classiques, du genre deus ex machina.
Dans les gags sur un seul dessin, cette synthèse formelle atteint sa plus haute perfection : tous les éléments cohabitent ; il n’y a pas de suite narrative ; il y a, seulement, une dynamique interne, aussi solide que fluide.
Cependant, en dépit de ce jeu permanent et singulier sur le style, Quino est en même temps un dessinateur hautement politique, un chroniqueur horrifié par le monde, par la marche du monde.
L’humour de Quino est un humour triste. Il ne suscite pas la joie ; il y crépite un fond de mélancolie et de douleur.
Son univers est un univers silencieux. Silencieux, solitaire, froid, hivernal.
Il suffit d’observer la façon dont il dessine le soleil. Un soleil éteint, un soleil triste.
Seules deux expressions viennent rompre cet univers gris et monodique. La première est l’expression autoritaire, l’expression de la rage.
L’autre, plus lumineuse, est l’enthousiasme.
Mais cet enthousiasme est toujours passager, toujours chimérique.
Les femmes chez Quino sont toujours lointaines. Elles sont attirantes mais dénuées de tendresse. Il y a toujours quelque chose de perfide en elles.
Leur destin est invariablement d’être des femmes au foyer, des grosses, des belle- mères, des agents involontaires de la souffrance et de la laideur du monde.
Quino est le moins superficiel, le moins condescendant, le moins cynique des humoristes. Il ne se contente pas de voir, comme nul autre, l’horreur qu’il y a dans les choses, il la subit ; et comme nul autre, il la redoute.
Il n’a sans doute pas tort.
Mariano Llinás et Ignacio Masllorens
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