Très proche des artistes, suivant leur parcours ou les accueillant dès leurs premiers pas chorégraphiques, le festival Uzès Danse, 21ème édition, programmé par Liliane Schaus, directrice du Centre de Développement Chorégraphique (CDC), a réussi à se faufiler entre les gouttes d’un mois de juin guère accommodant pour le plein air. L’effet foot de l’Euro en a rajouté et le public ne s’est pas précipité. Mal lui en a pris car le festival a tracé des lignes droites, courbes ou a carrément réinventé l’histoire de la danse, à sa façon. Des pionnières (Loïe Fuller, Isadora Duncan, Ruth Saint-Denis…) dont se sont emparées un groupe de jeunes filles (20 adolescentes) mené par Marion Muzac, à l’initiative de plusieurs CDC, pour un récital haut de gamme, Ladies First à la reprise de Sacre de David Wampach, une petite merveille à bout de souffle, le festival a balayé l’histoire officielle tout en lui faisant des clins d’œil.
Le clou (bien planté) fut Jaguar de la Cap-Verdienne Marlene Monteiro Freitas, en duo pour le moins sportif avec Andreas Merk que nous n’avions pas encore eu l’occasion de voir depuis 2015, année de sa création. Présenté comme une chasse, chasse à l’homme, chasse à courre ou chasse à la danse, ce spectacle de deux heures bien tempérées, bourré de références tout autant aux œuvres chorégraphiques du passé, notamment des Ballets Russes (Jeux de Debussy, L’Après-midi d’un faune de Nijinsky…) qu’à des compositeurs (Stravinsky, Schönberg, David Bowie), ou des peintres et dessinateurs (Kandinsky, Adolf Wölfli), nous plonge dans un charivari sonore, visuel et gestuel digne des plus frénétiques carnavals, ceux qui ont par exemple guidé la chorégraphe dans sa jeunesse cap-verdienne.
La scène est fort bien délimitée et aménagée afin que le regard ne se perde pas. Un cheval bleu en perspective voudrait trôner en référence au mouvement pictural allemand Der Blaue Reiter (Le Cavalier Bleu) mais il ne tient pas sur ses pattes. Il finira d’ailleurs disloqué comme un vieux jouet. Quant aux deux danseurs, ils ressemblent à des marionnettes dénuées de tout affect et de tout intellect. Ils suent, c’est déjà suffisant. En shorts blancs de tennis, ils courent, ils font des exercices multiples et variés, prenant les poses des adeptes de fitness comme celles de nymphes paumées. La gestuelle mécanique rappelle souvent celle du hip hop (pop et robotique). Tout se mêle et se renvoie dans cette chasse à tout et à rien. Le jaguar a déjà pris le large. Il échappe ainsi à la fouille au corps (au cul), scène issue de l’expérience que mena Marlene Monteiro Freitas dans une prison de femmes à Lisbonne. Quant aux serviettes éponge, elles virevoltent pendant tout le spectacle, linceul, habit, écharpe, serviettes hygiéniques aussi. Et les visages peinturlurés grimacent, la bouche outrageusement peinte en rouge débordant. Jaguar lance un défi au temps, aux canons de la beauté. Pendant cette chasse, nous n’aurons attrapé aucun gibier, sauf peut-être Marlene Monteiro Freitas qui, si on la suit, risque bien de nous capturer définitivement, comme l’a fait Andreas Merk dans ce spectacle.
Marie-Christine Vernay
Danse
La 21ème édition du festival Uzès Danse s’est déroulée du 10 au 18 juin.
Le spectacle Jaguar, de Marlene Monteiro Freitas, est en tournée jusqu’en 2017.
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