Festival qui mêle les disciplines depuis 18 ans, Artdanthé accueille de nombreux jeunes (ou moins jeunes) auteurs et leurs recherches les moins attendues. Cela donne, notamment tous les samedis, un ballet incessant de minibus qui transportent les festivaliers accros d’un lieu à l’autre de la ville de Vanves, y compris chez des particuliers. L’agitation pourrait n’être que de surface en ne brassant que des idées de la veille. Mais en passant d’une performance à un spectacle, d’un workshop à une installation, on peut mieux appréhender ce qui propulse et inquiète les artistes, de moins en moins soutenus et reconnus, de moins en moins programmés et produits ou coproduits. Secoués comme leurs contemporains dans un monde de l’exclusion se repliant sur quelques nantis que la culture n’intéresse que si elle est attractive, rentable ou patrimoniale, plasticiens, metteurs en scène, chorégraphes, compositeurs ont fait de Artdanthé un lieu de parole, de controverse, d’invention et de réunion.
La nouvelle direction, ancienne équipe de José Alfarroba qui dirigea le Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse, a gardé un esprit rock’n roll qui convient bien à ce petit lieu, chaleureux, planqué au milieu des immeubles mais repéré. Samedi 19, on a pu découvrir la chorégraphie lumineuse d’Éric Arnal Burtschy. Prolongement d’un spectacle avec des interprètes danseurs, le chorégraphe a épuré la scène jusqu’à ne garder que la lumière. Son installation Deep are the woods prend le spectateur dans des faisceaux lumineux, dans des brouillards comme une araignée dans sa toile. Jamais agressive, semblant caresser les corps des visiteurs, douce, protectrice. Il n’est pas difficile d’imaginer que cette première exploration devrait ouvrir pour son créateur de nouvelles voies de recherche.
L’installation-performance Le photomaton de Kim Lan Nguyen Thi nous offre quatre photos d’identité et une carte du tendre. En portant un regard critique sur tout ce qui est supposé définir notre identité, comme le passeport biométrique avec photo sans lunette, sans sourire, sans col montant… elle imprime une identité floue, voyageuse, farfelue. Dans le photomaton, on est convié à répondre sur ordinateur à des questions comme “Qu’est-ce que l’amour ?”, “Qu’est-ce qui vous rend vivant ?, “Quand avez-vous ri la dernière fois ?”, alors que la machine vous photographie sans que vous le sachiez. On en ressort avec sa carte d’identité farfelue et ses photos, prêts à affronter un nouveau contrôle.
Dans la salle de réception de l’hôtel de ville, Thibaud Croisy a quant à lui organisé une conférence on ne peut plus officielle. Avec convocation : “Monsieur Thibaud Croisy, metteur en scène, auteur, le personnel du Théâtre de Vanves, scène conventionnée pour la danse, leurs parents, leurs enfants, leurs amis, ont la profonde douleur de vous faire part de la disparition de Fleur PELLERIN, ministre de la Culture et de la Communication, survenue au bout de 1 an 5 mois et 16 jours (26 août 2014 – 11 février). Une cérémonie d’adieu intitulée Une Tombe, une Fleur, suivie de 4 Rêves non-censurés en présence de Fleur Pellerin.” Le carton d’invitation est déjà une galéjade. Fleur Pellerin dans cette conférence hilarante mais pas seulement est bien sûr présente sur l’écran dans ses plus belles robes. Quant à l’auteur-comédien, personnage de fiction, genre petit notable de province, raidi par ses fonctions au sein de l’équipe municipale, piètre communicant, le costume triste, il est parfait dans son rôle pince sans rire de croque-mort amoureux transi. Les adresses aux “people” sont souvent vouées à l’échec. Ici, tout est calé à la perfection et subtil dans la confusion volontaire des registres. L’hommage est un reproche, le reproche une déclaration d’amour, la déclaration un faire-part.
Quant aux 4 Rêves non-censurés qui suivent Une Tombe, une Fleur, ils disent tout autant l’attirance et la soumission au pouvoir que le désarroi du petit pèlerin artiste qui vient quémander sa modeste subvention. Dans le sang et dans l’horreur, dans les fantasmes sexuels sur la femme asiatique, dans un délire d’images projetées sur écran et surtout mentalement, la conférence qui manie le cynisme, la dérision, sans aucune méchanceté mais avec férocité, est une performance qui devrait être invitée dans tous les Hôtels de Ville. Avec cette interrogation : Thibaud Croisy ne présente que trois des quatre rêves non-censurés, ce qui suppose donc que l’un a été censuré.
Marie-Christine Vernay
Danse Théâtre Arts Plastiques
Ardanthé, Théâtre de Vanves, 12 rue Sadi Carnot, 01 41 33 93 70, jusqu’au 8 avril.
4 Rêves non-censurés en présence de Fleur Pellerin, les 25 et 26 mai au Théâtre Paris-Villette à 19h30.
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